Que se passe-t-il quand un couple de la classe moyenne se retrouve dans un monde qui n’est pas le sien ? Réflexion sur la notion d’identité et de sentiment de classe, Les Invités, roman norvégien d’Agnès Ravatn, nous transporte dans les superbes paysages du fjord d’Oslo et nous tient en haleine jusqu’au bout.

Les Invités, un livre pour l’été, modeste par sa longueur, mais qui nous offre dépaysement – l’archipel d’Oslo, sauvage et magnifique – et fraîcheur. Des maisons, harmonieusement intégrées à la nature environnante, sont venues peupler ce petit paradis pour multi-millionnaires. C’est dans l’une d’elles qu’ont été conviés Karin et Kai, un couple de quadragénaires ordinaires : ils pourront en disposer pendant une semaine en contrepartie de quelques travaux. Un séjour qu’on pourrait considérer comme une aubaine…sauf que la maison appartient à Iris, une comédienne à succès que Karin a connue adolescente, qu’elle déteste et qu’elle s’est juré de tenir à distance. Invitation acceptée, cependant, sur l’insistance de son mari. Et alors que Karin voit dans ces vacances inattendues un mauvais moment à passer, elles s’avèreront être l’occasion d’une interrogation sur ce qu’elle a fait de sa vie.
Que se passe-t-il quand un couple de classe très moyenne – il est menuisier, elle est juriste dans une mairie – se retrouve dans un monde qui n’est pas le sien ? Il n’y a pas que le somptueux chalet à l’architecture contemporaine, tout de verre, bois et pierre naturelle, offrant un contraste flagrant avec leur propre maison. Il n’y a pas que le voilier, également mis à leur disposition. Il y aura aussi et très rapidement les voisins, Per et Hilda, écrivains célèbres tous les deux, qui leur feront éprouver la modestie de leur situation. Deux mondes qui ne sont pas destinés à se mélanger – les premiers mots de Per à Karin ne sont-ils pas pour lui signaler qu’elle se trouve sur une « propriété privée »? – et qui, pourtant, vont le faire, l’espace de quelques jours, à l’initiative de Karin. Peu encline à supporter une humiliation de classe, elle est curieuse aussi de voir ce que dissimule l’image sur papier glacé de ces riches intellectuels de gauche partis se détendre sur la côte Sud.
Les Invités, roman psychologique découpé en de courts chapitres comme autant de scènes de théâtre, a tout du naturalisme intimiste du kammerspiel et fait la part belle aux conversations que partagent les deux couples. Centré sur le personnage de Karin, il est aussi une réflexion sur l’identité – la sienne et celle que l’on peut être tenté d’emprunter – sur le mélange de fascination et de dégoût que peuvent susciter ceux qui semblent avoir « réussi leur vie », que l’on déteste et que l’on jalouse. C’est ce qu’éprouve Karin en s’identifiant à Iris dans ce qui n’était au départ qu’un mensonge irréfléchi : le trouble d’être à la fois elle et une autre qui est précisément tout ce qu’elle n’est pas – belle, talentueuse, riche – comme en se rapprochant d’une romancière qu’elle admire. Kai, lui, est bien plus serein quant à son statut social, mais accepte sans états d’âme de jouer le jeu. Que vaudront donc les relations ainsi créées entre les deux couples voisins? Une forme de sincérité pourra-t-elle naître du mensonge ?
Les Invités offre un contraste frappant entre l’évidente douceur de vivre qui imprègne les lieux – beauté paisible d’un paysage marin, confort d’une architecture luxueuse et intelligemment pensée – et les sentiments troubles, voire destructeurs qui rongent Karin. C’est là un des charmes de ce roman qui oscille entre huis clos pervers et ouverture sur une nature sans limites. Certes, le dénouement ne constitue pas une véritable surprise pour le lecteur. Certes, l’écriture d’Agnès Ravatn m’a paru sans grand intérêt – ou est-elle desservie par la traduction ? Mais le roman offre un regard aigu sur une femme qui se trouve brutalement mise en face de ses insatisfactions, de ses faillites, une femme qui rêve d’être reconnue à sa juste valeur. Et il parvient ainsi à nous tenir en haleine tout au long de ses 208 pages, retardant le moment tant attendu où les masques tomberont. Une lecture facile, voilà qui est parfait pour l’été.
Anne Randon