Seconde journée à Binic, dont une partie sous le crachin : pas de quoi décourager ni les festivaliers, ni les artistes, une ribambelle de groupes venus de Melbourne et quelques uns des US, pour un samedi très réussi…

Après une première journée que l’on aura jugée, a posteriori, en demi-teinte, nous voici de retour devant la Scène Banche pour un samedi au programme chargé (8 sets s’enchaînant jusqu’à une heure du matin !) et plus alléchant que la veille. Un programme qui met l’honneur, sans réelle surprise, beaucoup de groupes de Melbourne, mais comporte une double tête d’affiche américaine : Des Demonas, dont on parle beaucoup, et Acid Tongue, gros chouchous du public, à qui on a attribué deux luxueux « slots » d’une heure.
15h50 : On commence d’ailleurs, alors qu’une fine pluie descend sur Binic, sans troubler particulièrement qui que ce soit, par un duo venu des US, qui a attiré beaucoup de monde devant la scène, Left Lane Cruiser : est-ce parce qu’ils jouent du Blues, eux ? Et donc permettent à ce mot de continuer à figurer dans le nom du Festival ? Bon, le duo Left Lane Cruiser, c’est en fait Joe Evans IV au chant et la guitare, avec son batteur du moment : Brenn Beck est parti, remplacé par un nouveau venu (nous n’avons pas saisi son nom) au style beaucoup moins « roots », mais parfaitement efficace. Joe fait son job habituel : jouer de la guitare comme un sauvage, hurler comme un coyote et boire de la bière, pas forcément dans cet ordre. Pas vraiment de surprise musicale, c’est du Blues traditionnel, mais joué au lance-flammes : difficile de s’extasier quand on a déjà vu plus d’une fois le groupe sur scène, mais difficile aussi de critiquer, l’exécution restant impeccable. Une sorte d’amuse-bouche avant d’attaquer le repas copieux de la journée, on va dire.
Michael Beach, c’est l’exemple parfait du mec qu’on aimerait aimer – ou plutôt dont on aimerait aimer la musique. Sympathique, chaleureux, ambitieux, intense, il coche toutes les cases qui font qu’il est a priori intéressant. Sa musique, clairement influencée par le géant Nick (Cave…) inclut de longues digressions instrumentales, à la guitare ou au piano. Ses deux accompagnateurs se donnent au maximum pour assurer le spectacle tout en suivant au pied et à la lettre les volontés de Michael, livrant un set cohérent, rempli de moments inattendus. Pourtant, pourtant, on n’arrive pas à adhérer : Michael n’a pas une très bonne voix, alors que ses chansons en auraient besoin ; les plages instrumentales, originales a priori, s’éternisent au delà du raisonnable (dès l’introduction de The Sea, c’était perceptible) ; les morceaux manquent de mélodies reconnaissables… Et cela fait mal de penser et d’écrire ça face à u artiste aussi généreux, sincère, engagé, comme Michael Beach, qui semblait très ému en nous parlant de son bonheur d’être là avec des gens comme nous, partageant un amour de l’Art qui est essentiel, qui pourrait permettre de changer notre monde qui va si mal… Heureusement, la fin du set sera plus directe, et inclura un Metaphysical Dice de bonne facture qui nous permettra de rester sur une bonne impression.
PS : Michael vient de Melbourne.
Présentés comme des disciples du Gun Club et de… Nick Cave, St. Morris Sinners intriguent autant qu’ils inquiètent : avec de telles inspirations, comment ne pas sonner comme des redites de moins bonne qualité, des copieurs peu inspirés ? Mais rapidement, on réalise que, heureusement, les choses ne sont pas aussi simples que des étiquettes Marketing : oui, Stephen Johnson est un « preacher » exalté, déployant ce mélange de charme et de menace qui est indispensable à la mise en scène d’un « dirty blues » hanté, mais la musique de St. Morris Sinners s’est éloignée de ses origines pour adopter des tonalités plus déconstruites, conceptuelles, labyrinthiques, qui lui confèrent un caractère original. Quant à Stephen, il a choisi d’enrichir son chant d’une multitude d’onomatopées, imitant avec délectation, e accord avec les chansons, le cri du cochon ou le bourdonnement de la mouche. Evidemment, un tel spectacle, en dépit de son intensité et sa brutalité bienvenues ne pourra pas être du goût de tout le monde, mais injectera une jolie dose d’étrangeté dans l’après-midi (… alors que les averses sont de plus en plus espacées, et que le soleil réapparaît).
PS : St. Morris Sinners viennent de M… non, pardon d’Adelaide !
Premier « gros morceau » de ce samedi à la Scène Banche, Civic, combo punk à l’excellente réputation. Et, une réputation indéniablement méritée : Jim McCullough est un frontman de grande classe, parfaitement charismatique avec sa grande taille, sa boule à zéro, sa présence impérieuse et son attitude heureusement non dénuée d’humour. A ses côtés, le cofondateur du groupe, en 2017, Lewis Hodgson s’avère un guitariste brillant, tirant d’ailleurs des sons remarquablement saturés de sa Stratocaster. La setlist est largement consacrée à Chrome Dipped, leur nouvel opus, mais le bombardement sonique est ininterrompu durant les 40 minutes du set, qui en deviendront 50, McCullough et Hodgson n’ayant pas l’intention de s’arrêter, jusqu’à ce que les responsables du festival leur demandent d’arrêter immédiatement ! A noter que le producteur de l’album, masqué et casquetté (une casquette portant le sympathique avertissement : « I have a gun »), viendra taper le bœuf avec eux. Le tout est sympathique et redoutablement efficace, mais manque un peu de variété pour éviter le sentiment qu’on toure un peu en rond. Comme le moshpit, d’ailleurs, qui s’est formé et préfigure une deuxième partie de journée très turbulente…
PS : Civic viennent de… Melbourne.
… Et l’excitation du public ne va pas redescendre avec Zombeaches, l’une des grosses sensations – so far… – de Binic, qui, après leur succès sur la seconde scène, la veille, vont offrir aux aficionados de punk rock effréné une véritable fête des sens. Dès l’intro de Distractions Kill, Stay Focused, c’est le chaos sur scène, ça saute et ça court dans tous les sens, sans oublier de jouer des brûlots enfilés à cent à l’heure, mais sans oublier non plus de s’amuser. Zombeaches, c’est du plaisir pur, avec des chansons originales, certaines plus mémorisables que d’autres, mais toutes jouées avec un enthousiasme communicatif. On s’interrogera juste sur l’utilité de Dominique, l’organiste, qui passera la plus grande partie du set à agiter un tambourin, et à regarder ses collègues jouer, un grand sourire aux lèvres, mais aussi à se faire offrir une fleur par Brendan Stringer, le spectaculaire bassiste (qui joue aussi dans Public House), jetée sur scène par le public. James Young, le leader du groupe, nous régalera en grimpant en haut de l’une des tours supportant la scène, puis en allant chanter dans la foule (comme d’ailleurs Jay, le spectaculaire guitariste qui, derrière son air sage et sa chemise blanche, cache un tempérament de feu !). A la fin du set, Zombeaches seront rejoints par Wolfgang Buckley, de Public House, confirmant les liens forts unissant ces deux fleurons de la scène punk de Melbourne…
PS : … car, oui, Zombeaches sont de Melbourne !
Il est temps de faire redescendre la température dans la foule, et ce sera le job des Bruxellois de Warm Exit (un nom de groupe trompeur, car il y a plutôt quelque chose de réfrigérant dans leur post punk déstructuré mais parfois martial : on comprend bien qu’on a quitté Melbourne et l’Australie (d’ailleurs, aurait-on vu un Australien à petite moustache jouer du Rock en chemise – cravate comme Valentino Sacchi, le leader de Warm Exit ? Euuuh… ou, il y a Nick Cave, c’est vrai…). Bon, ça doit être notre allergie croissante pour le post punk tendance cold wave, mais, honnêtement, avons-nous besoin en 2025 chansons sinistres portant des titres comme Damages Become A Necessity, Become The Butcher, Ultra Violence, Extraordinary Murders, ou Auto-Destruction ? Nous n’en sommes pas persuadés. Alors, oui, Warm Exit offrent une revisite actualisée et efficace de « l’Atrocity Exhibition » de Joy D : un peu de trompette, un soupçon de synth pop/punk, de la recherche instrumentale, etc. Mais qu’est-ce que tout ça est sérieux ! Bref, nous comprenons que ça puisse être votre tasse de thé, mais nous, nous sommes vaguement ennuyés…
22h20, la nuit est tombée, et les deux groupes US en tête d’affiche vont faire basculer la journée. S’approprier les premières places sur le podium, mais surtout faire basculer la foule des spectateurs dans le chaos, la transe (bon, comme souvent à Binic en soirée, l’alcool aide beaucoup, malheureusement !). On commence par le groupe le plus intrigant qui soit, Des Demonas, venus de Washington DC pour nous régaler de leur drôle de musique : imaginez d’abord du garage punk déviant, porté par un orgue Farfisa omniprésent, mais aussi traversé par des soli fulgurants de guitare acide… ça, c’est facile, pas besoin d’imagination. Mais mettez devant un frontman afro-américain (le seul rocker de couleur du festival, ça fout un peu la honte, non ?) débitant au micro des paroles contestataires répétées en boucles. Rajoutez un brin de funk et de hip hop là dessus, et vous voilà intrigués, non ? En tous cas, Des Demonas est ce que nous avons entendu de plus frais depuis un moment, et, rien que pour ça, ils méritent la première place du podium. Mais, c’est bien mieux que ça, en vrai : après un démarrage assez prudent – pour s’habituer les uns aux autres, dira-t-on – Des Demonas injectent par surprise une surdose d’intensité et de puissance, et le set se met à décoller de manière stratosphérique. La guitare fuzz tranchante de Mark Cisneros (apparemment une figure tutélaire de la scène alternative de Washington, ayant aussi accompagné Kid Congo) et les incantations fiévreuses et obsessionnelles de Jacky “Cougar” Abok, qui rappellent autant le gospel que le post-punk le plus habité, font littéralement merveille. Avec la douceur acidulée de l’orgue qui rajoute un psychédélisme 60’s « à la Doors« , cette musique devient juste magique. Inarrêtable. Résultat : une heure où on a volé très, très haut, aussi bien sur scène que dans le public, très agité (où en plus, les militants pour la reconnaissance de la Palestine ont prêché la libération de Gaza en agitant un drapeau que le service d’ordre ne souhaitait pas voir déployé…).
23h50 : Pour de nombreux fans – de tous les âges – au premier rang, est arrivée l’heure très attendue du set de Acid Tongue, le groupe de Seattle qui semble déchaîner bien des passions. A nous qui ne les connaissons pas, on nous parle de punk rock psyché, ce qui nous va bien. Mais quand le groupe entre en scène, à la surprise des fans, le line up autour de Guy Keltner a radicalement changé. Mais, plus important, la musique a évolué vers un Rock US typé années 70 des plus classiques ! Mais ce n’est apparemment pas un souci pour les adorateurs de Keltner, jeune artiste d’ascendance mexicaine par sa mère, débordant d’énergie et de vitalité, et qui plus est, guitariste accompli – quasi virtuose. Nous voilà embarqués pour une heure de musique survitaminée, dynamique et gaie, où la majorité des chansons ont un potentiel commercial évident, et nous sont jouées avec un enthousiasme communicatif. Il est seulement dommage pour nous, au premier rang, que le chaos dans le public ait atteint un niveau presque insupportable : obligés de nous battre pour survivre (littéralement), nous n’accorderons pas toujours à la musique d’Acid Tongue l’attention qu’elle mérite ! Mais impossible de nier que le set est très agréable et très convaincant. Final grandiose sur trois titres consensuels, voire irrésistibles : Acid on the Dancefloor, The World’s Gonna Fuck You et Consumerism… Ce qui permettra à Acid Tongue, après avoir dansé de joie sur un Dancing Queen fédérateur sur la sono, de nous quitter en (quasi) triomphateurs !
A demain pour la dernière journée du festival !
Left Lane Cruiser
Michael Beach
St Morris Sinners
Civic
Zombeaches
Warm Exit
Des Demonas
Acid Tongue
Eric Debarnot
Photos : Eric Debarnot