Les survivants du Alice Cooper Band originel reviennent aux affaires sous le signe de la revanche. Sans être musicalement révolutionnaire, ce The Revenge of Alice Cooper démontre que leur camaraderie est toujours contagieuse, plus d’un demi-siècle après Muscle of Love.

Notre dernier article consacré à Alice Cooper, dans le cadre de notre rétrospective sélective de la décennie soixante-dix, réaffirmait l’importance historique de Love It To Death, sorti en 1971. On aurait tout aussi bien pu choisir Killer, School’s Out ou Billion Dollar Babies. Le Alice Cooper Band originel, à l’époque où le nom se rapportait au quintette composé de Vincent Furnier (chant), Glen Buxton (guitare), Michael Bruce (guitare, claviers), Dennis Dunaway (basse) et Neal Smith (batterie), n’a pas signé de mauvais album, même si Muscle of Love, dernier opus avant la séparation en 1974, est moins efficace que ses prédécesseurs. Une fois Furnier parti en solo, le trio Bruce/Dunaway/Smith, assisté de Mike Marconi et Bob Dolin, persista sous le nom de Billion Dollar Babies le temps d’un unique album, Battle Axe, plombé par une promo déficiente et une tournée ruineuse, censée mettre en scène des combats de gladiateurs entre Bruce et Marconi (!).
Il faudra patienter jusqu’à 2011 pour entendre la collaboration reprendre sans Glen Buxton, excusé pour cause de décès en 1997. Les quatre survivants se produiront pour le Rock & Roll Hall of Fame avec Steve Hunter, puis signeront trois titres sur Welcome 2 My Nightmare, sequel tardif au premier opus solo de leur chanteur, également produit par le fidèle Bob Ezrin. Le rendu était étonnamment vivace, témoignant que le groupe n’avait pas remisé son envie d’égaler Brown Sugar (I’ll Bite Your Face Off), de faire péter les fifties par la poudre de Detroit (A Runaway Train) et de construire des trains fantômes auditifs (When Hell Comes Home). S’ensuivront quelques contributions à Paranormal et Detroit Stories, les deux entrées solos suivantes de Furnier. La perspective d’un nouvel album signé par le groupe était évoquée, et les musiciens avaient apparemment continué à échanger des idées. Après Road, qui mettait en vedette le groupe de tournée de Furnier, il est donc logique de voir la mouture ancestrale revenir aux affaires. Pour l’occasion, la lead guitar est partagée entre Gyasi, dont le fétichisme seventies est bien connu, et Rick Tedesco, patron du Guitar Hangar de Brookfield et conservateur d’une partie de l’héritage de Mick Ronson (c’est lui qui avait restauré la fameuse Les Paul à table poncée avant sa remise en vente). Robbie Krieger des Doors passe également une tête sur le premier single, qui se trouve être le titre introductif de l’album.
Black Mamba fait initialement résonner la Jazz Bass chromée de Dennis Dunaway de façon fort prometteuse. La guitare gémit en arrière-plan tandis que Cooper croone de son timbre le plus anxiogène, toujours aussi saisissant après tant d’années. Le souci, c’est que cette montée d’ambiance est tuée dans l’œuf par le gros riff qui prend le relai. Neal Smith a beau être resté un batteur solide, bien servi par la production aiguisé d’Ezrin, rien n’y fait. La cadence du refrain et ses « ya-ya-yah » répétitifs manquent cruellement de singularité, et le fait que la chanson s’approche des cinq minutes ne dynamise pas du tout son écoute. On apprécie la précision des mises en places rythmiques, mais le temps s’écoule lentement. Reste la lead guitar de Krieger, toujours compétent quand il s’agit de tricoter du heavy blues pour frontman reptilien. Wild Ones fait plus facilement mouche, renouant avec l’urgence crasseuse de l’école de Detroit, même si les guitares sont moins venimeuses qu’à la grande époque de Buxton. Up All Night est parfaitement éructé par Furnier, ce qui ne sauve pas pour autant un refrain qui tourne vite en rond, ainsi qu’un riff inutilement lourdaud, qui rappelle les pires dérives du hard rock sudiste durant les années 2000. Passons également sur les traits d’humour du texte, écrit du point de vue d’un type qui tente de persuader une prostituée qu’elle devrait le payer pour sa performance, et non l’inverse. Hum. Kill The Flies fonctionne un peu mieux, avec des chœurs bubblegum qui contrebalancent bien la suie des guitares. Les transitions pseudo-horrifiques aux claviers auraient toutefois mérité d’occuper davantage l’espace de la composition, qui manque d’un soupçon de panache. Ce n’est en revanche pas le cas de One Night Stand, occasion de rappeler que Furnier est toujours convainquant en Jim Morrison de crypte, tandis que la section rythmique caracole avec une aisance qui ne ferait pas deviner son age septuagénaire. Les arpèges sont élégants, les mélodies sont évidentes et la chanson s’impose sans problème.
Avec une durée de six minutes et un texte assemblé par Dennis Dunaway à base de titres de films, Blood On The Sun est la pièce la plus substantielle de l’album, et l’une des chansons les plus prenantes. Les envolées dramatiques rendent joliment hommage aux Who de Quadrophenia. Le tempo mute à mesure que Neal Smith égrène des fills pas toujours millimétrés, mais on se rappellera que ceux de Keith Moon ne l’étaient pas non plus et que la question n’est pas vraiment là. Le mid-tempo hard rock revient en force sur Crap That Gets In The Way of Your Dreams, écrite du point de vue d’un musicien raté prêt à renoncer à tout, sauf à son rêve. Le texte est divertissant, mais les progressions d’accords ne sont guère captivantes, les transitions sont rudimentaires et le potentiel mélodique du morceau reste très mince. Même limite pour Famous Face, qui groove correctement mais fait du sur-place sur ses riffs, ainsi que pour Money Screams, plus enlevée mais tout aussi prévisible. On apprécie davantage le shuffle de What A Syd, qui a au moins le mérite de faire dévier la palette sonore vers le lounge chaloupé. Pour ne rien gâcher, Furnier est parfaitement à l’aise dans le costume de Cab Calloway, et Gyasi déroule un solo jazzy tout à fait convainquant. On aurait juste aimé entendre la composition se prolonger un peu et s’étoffer. Intergalactic Vagabond Blues sort l’harmonica sur un riff qui n’aurait sans doute pas déplu à Billy Gibbons. Rien de très novateur dans tout cela, mais le boogie cradingue est quasiment un passage obligée pour tout groupe rattaché à la scène de Detroit, et il est plaisant d’entendre Furnier, Bruce, Dunaway et Smith raviver leurs obsessions sixties via des amplis fumants.
Lancée sur le sampling d’une ancienne démo de Buxton, What Happened To You? associe des couplets blues-rock façon LA Woman à un refrain qui ressemble étrangement à Who Invited You? des Donnas. Les parties de guitares manquent toutefois d’une sophistication qui pourraient permettre au morceau de se hisser plus haut à l’échelle de l’album. Le groupe se fend ensuite d’une reprise de I Ain’t Done Wrong, l’un de leurs premiers titres enregistrés par les Yardbirds de l’époque Jeff Beck, et basé sur I Must Have Done Somebody Wrong d’Elmore James. Là encore, la clarté d’exécution des vieux briscards est tout à leur honneur. See You On The Other Side, bien que musicalement très prévisible (la mélodie tourne autour de deux accords), est touchante dans son hommage rendu à Buxton. On serait presque tentés de recevoir ce titre comme un voisin de The Departed, que les Stooges survivants avaient dédié à Ron Asheton sur Ready To Die. On aurait pu rêver d’une conclusion plus ambitieuse sur le plan sonore, mais le sentiment de fond demeure légitime, à l’image de l’album lui-même. The Revenge of Alice Cooper arrive probablement bien trop tard pour bouleverser son monde, mais ses meilleurs moments rendent contagieux le plaisir qui semble avoir présidé à sa conception.
Mattias Frances