[Biographie] « Paul Verhoeven », de Rob Van Scheers : Itinéraire d’un Hollandais Violent.

Après avoir traduit en français le livre de Paul Verhoeven et Rob Van Scheers sur le projet abandonné de film sur Jésus du cinéaste néerlandais, les éditions Aux Forges de Vulcain publient la (volumineuse) biographie de référence de Rob Van Scheers sur Verhoeven.

De gauche à droite Jeroen Krabbé, Paul Verhoeven et Renée Soutendijk, source wikimedia commons

Paul Verhoeven, c’est la biographie du Hollandais Violent arrivant enfin dans la langue de Molière, avec une réactualisation concernant Elle et Benedetta rajoutée pour l’occasion. Pourquoi est-il cependant possible d’avoir adoré certains des films du cinéaste et de ne pas se sentir spontanément curieux de sa vie ?

Peut-être parce que full frontal nudity est le terme qui s’applique parfaitement à son cinéma, au propre et au figuré. On ne décode pas ses films comme des hiéroglyphes. Ce qu’ils racontent peut être mal interprété mais n’est aucunement présenté de manière cryptique. Ses films regardent de manière critique une société, l’histoire du monde et celle du cinéma… mais ce regard critique est présenté de manière directe, grande gueule, sans filtre intellectuel.

Comme lorsqu’il reprend dans Starship Troopers l’esthétique de Leni Riefenstahl pour dresser une analogie entre les canons de beauté californiens et l’idéal de beauté aryen. Les meilleurs films du cinéaste ne tirent pas, bien au contraire, leur force de mystères que l’on espèrerait résoudre en se penchant sur son existence ou les conditions d’élaboration de ses films. Livre signé d’un journaliste ami ayant suivi tous ses tournages (Rob Van Scheers), livre pas forcément désiré parce que les films parlent très bien tous seuls, Paul Verhoeven va pourtant s’imposer comme une somme passionnante sur le cinéaste.

On dit, comme par exemple pour Almodovar et le cinéma espagnol, que la notoriété d’un seul peut éclipser toute une cinématographie nationale. Sauf que dans le cas de Verhoeven on peut dire qu’il a créé au sens figuré le cinéma néerlandais. Son deuxième long métrage, Turkish Délices, fut à la fois pour le cinéma de son pays Les Valseuses un an avant Bertrand Blier et un phénomène populaire équivalent local en terme de succès de La Grande Vadrouille. Plus grand succès de tous les temps à domicile, il fit prendre conscience que le cinéma pouvait faire se déplacer massivement en salles le public néerlandais.

Mais ce succès lança une carrière marquée à la maison aussi bien par une réception critique souvent très partagée que par des attaques venant parfois de mouvements progressistes. Comme celles contre Spetters dont la représentation des classes populaires déplaisait à certain(e)s à Gauche et qui fut taxé d’homophobie par certaines figures LGBT locales. Ou les accusations de sexisme contre nombre de ses films… alors que les femmes émergent toujours victorieuses à la fin, comme le rappelle ici Rob Van Scheers.

Nominé à l’Oscar du Meilleur Film Etranger, Turkish Délices représente involontairement le premier pied posé en Amérique par Verhoeven. Peu de temps après, Spielberg lui avouera également son admiration pour le film de guerre Le Choix du destin, première démythification par le cinéaste de la Seconde Guerre mondiale côté hollandais. L’Amérique sera terre de paradoxes pour Verhoeven. La controverse se poursuivra, certes (cf. les attaques de mouvements féministes et LGBT contre un Basic Instinct même pas achevé). Mais il y obtient une certaine reconnaissance critique (en particulier en évoquant les States des années 1980 au travers du genre de la Science Fiction) et se fond dans le moule hollywoodien sans se renier… tout en faisant du cinéma pour un public moins réceptif à une certaine ambiguïté morale que le public européen.

Il va ainsi s’imprégner de la recherche d’efficacité dans le montage du cinéma hollywoodien des années 1980… en digérant par exemple l’influence de Terminator pour la recracher dans Robocop. Mais ses succès passent par des rencontres avec d’autres Européens : l’Autrichien naturalisé Schwarzenegger avec lequel une complicité entre expatriés se crée vite, le Hongrois naturalisé Joe Eszterhas qui lui offrira le scénario de Basic Instinct après s’être inspiré de Spetters (!) pour celui de Flashdance.

Concernant le contentieux entre Verhoeven et Sharon Stone autour de la mythique scène de l’interrogatoire de Catherine Tramell, Rob Van Scheers offre l’occasion aux deux protagonistes de donner leur version des faits. Après ce film marquant son époque, l’aventure hollywoodienne se terminera mal d’un point de vue professionnel. Même si depuis le décrié Showgirls a trouvé quelques laudateurs prestigieux (Tarantino, Jarmusch, feu Rivette) et si Starship Troopers a fait sa place cinéphile en même temps que les accusations de fascisme formulées à sa sortie se sont dissipées.

Hollow Man a de son côté plutôt fonctionné au Box Office mais Verhoeven le renie ici artistiquement, considérant avoir tourné ce film faute d’avoir alors pu monter les projets qu’il voulait. Entre parenthèses, la liste des projets non tournés du cinéastes mentionnée dans le livre nourrira forcément quelques regrets. Des Etats-Unis le Hollandais retiendra un pays conciliant vision bigote de la religion et culte des armes à feux.

Le retour réussi au pays avec Black Book raconte aussi ce que Verhoeven a perdu en quittant les States : la concrétisation du projet a été difficile parce que l’Europe ne disposait pas de l’assise financière permettant facilement le montage financier d’un film de guerre épique, contrairement à Hollywood. Rob Van Scheers détaille à ce moment-là les évènements historiques réels dans lequel le cinéaste a puisé son brouillage des repères moraux par temps de guerre. Un peu plus tôt, il avait évoqué le souvenir marquant pour le cinéaste d’un bombardement allié qui s’était trompé de cible pendant la Guerre de 1939-1945.

La partie consacrée à la période française du cinéaste est un peu moins passionnante. Mais le livre avait déjà souligné avant une intéressante coïncidence : adapté d’un roman de Philippe Djian, 37.2 le matin avait un pitch assez proche de Turkish Délices. Des années après, Verhoeven inaugurera sa carrière française avec Elle, adapté aussi de l’écrivain.

Pour le reste, le livre évoque les inspirations cinéphiles du cinéaste, son intérêt pour les sciences et la religion… On sourira ainsi de sa comparaison entre le nombre de litres de sang contenus dans le corps humain et la quantité sensiblement plus élevée de sang coulant du corps de Jésus dans La Passion du Christ de Mel Gibson. Rob Van Scheers raconte aussi que le cinéaste qui estimait que Francis Ford Coppola avait perdu le feu sacré suite au tournage fleuve d’Apocalypse Now a connu aussi ses tournages difficiles (La Chair et le Sang).

Le livre rappelle aussi l’importance de l’équipe artistique au cinéma. L’acteur Rutger Hauer et le scénariste (décédé cette année) Gerard Soeteman rencontrés pour la série Floris. Jan De Bont qui sera souvent chef-opérateur de la période néerlandaise (ainsi que sur Basic Instinct). Et aux States les noms d’Eszterhas (Showgirls) et de Neumeier (Robocop, Starship Troopers) au scénario, de Goldsmith et Poledouris à la composition et de Jost Vacano à la photographie.

Dans cette volumineuse biographie, le style d’écriture de Rob Van Scheers est tout sauf fluide. Paul Verhoeven n’est pas de ces livres qui se dévorent à toute vitesse. Il ne révolutionnera pas le regard que l’on peut avoir sur un cinéaste européen de première importance. Mais il offre le récit d’un itinéraire plein de contradictions.

Ordell Robbie

Paul Verhoeven
Biographie de Rob Van Scheers
Editeur : Aux Forges de Vulcain
752 pages –  29,00 €
Parution : 29 juin 2025

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