« Les mandragores » de Marius Degardin : un entrée fracassante d’un tout jeune auteur

Les mandragores est un premier roman percutant, signé par un très jeune auteur : l’histoire d’une fratrie abandonnée par les parents. Marius Degardin ose se faire une place sur la scène littéraire.

© éditions Le Panseur

On sait depuis Corneille, que la valeur n’attend pas le nombre des années. En voici encore la preuve avec ce premier roman Les mandragores, du très jeune (22 ans !) Marius Degardin.
C’est toujours un grand plaisir et une grande satisfaction que de découvrir une nouvelle plume, une nouvelle voix qui, même noyée dans le bruyant tumulte d’une rentrée littéraire, reste assez forte pour se faire entendre et captiver l’attention de ses lecteurs.
L’an passé, les éditions Le Panseur nous avait proposé le premier roman de Bénédicte Dupré La Tour (Terres promises), une sacrée lecture, et c’est encore une bonne pioche cette année avec ces Mandragores.
Les mandragores a été sélectionné cette année pour le Prix Fnac et le Prix Envoyé par la Poste.

Ce jeune auteur nous invite au restaurant à Paris, entre Bastille et République, un établissement à l’enseigne prometteuse « Amore e Gusto ».
Mais ne salivez pas trop vite : le resto a été abandonné par les tenanciers italiens Silvio Cipriani et Giuletta Umiliani.
Abandonné, tout comme les quatre enfants qui vivotent dans le resto de leurs parents qui leur ont laissé « juste un grand vide au fond du bide ».
Et c’est donc l’histoire de cette fratrie, quatre enfants d’immigrés italiens, les quatre Cipriani littéralement abandonnés par leurs parents : « quelques photos, des lettres, un portefeuille troué avec quelques lires dedans, et un carnet. On avait plus que ça des parents. Ça et des souvenirs qu’on aurait préféré enterrer ».
L’aîné c’est Primo, la colère incarnée, c’est lui qui organise tous les mois un « dîner de famille » où ils se retrouvent tous les quatre, pour boire plus que pour manger, peut-être parce que « c’est seulement quand on a le ventre rassasié qu’on sait si on est vraiment malheureux ».
Piero, c’est l’aveugle qui picole et « il tapait fort dans l’éthanol ».
La fille c’est Chiara, une jeune sage-femme affligée d’un bec de lièvre ce qui lui donne parfois un « beau sourire vertical ». Elle, c’est une révoltée.
« […] « Sages le jour, femmes la nuit » : c’était la devise qu’elles avaient brodé sur leur veste en cuir. Le collectif se retrouvait toujours en tête de cordon les jours de manif. Drapeau rouge sur l’épaule , foulard sur le nez et pavé dans la gueule des CRS, c’était le même refrain : ma sœur revenait toujours amochée de ses entrevues avec le pouvoir. »

Le petit dernier de la fratrie, c’est lui qui raconte. Il se fait appeler Benoît car il aime pas trop le prénom sous lequel il a été déclaré par son père : Benito … en l’honneur du Duce.
« […] Une fratrie d’Italiens qui pieute dans une brasserie de ritals en perdition, ça n’avait choqué personne dans le quartier. Une fois nos parents partis, on avait même gagné la pitié des concierges voisins. Ça se traduisait par des petits sourires et des invitations qu’on déclinait toujours en regrettant, le ventre vide, mais fiers. »

Ces quatre-là sont nés de parents plus que toxiques, délétères, dangereux, les mots ne sont pas assez forts, et ils ont vécu des histoires vraiment pas possibles. Et encore, j’ai pas mal édulcoré la présentation.
Heureusement, le roman navigue bien au large de l’écueil du misérabilisme complaisant. Bien au contraire, c’est la rage qui domine ce récit. Une rage nourrie par une injustice implacable et une rage de (sur-)vivre et de s’en sortir, coûte que coûte. Le ton serait un peu celui de L’enragé de Sorj Chalandon.

La première partie du bouquin où Benito/Benoît nous présente sa fratrie est une véritable claque littéraire. Ça fuse de toutes parts et Marius Degardin tape fort à coups de bonnes formules sur le thème « familles, je vous hais ».
« […] Je farfouille dans les chips mais je trouve pas le goût que je cherche. Poulet, barbecue, moutarde, ils ont de tout mais pas « retrouvailles heureuses en famille ». Merde alors !
[…] Un curé en fin de carrière. Il a visiblement pas trop suivi l’histoire puisqu’il a parlé d’une famille aimante qui se retrouvera dans l’au-delà. Je suis bien content que ce dernier n’existe pas. »

Marius/Benito, « la rage au ventre et les tripes tordues », tape, cogne, comme un boxeur sur son sac de frappe, soufflant à grand bruit de han ! et de han ! qui viennent déranger quiétude et silence car chacun sait que « les histoires de famille ont la très mauvaise habitude de se consumer dans un odieux silence » .
Mais cette furie est aussi « une invitation au courage, le refus de la passivité angoissée ».

Un peu plus loin, la furie devient folie furieuse, et au sens propre, puisque nous voici enfermés à Sainte-Anne : si le titre évoque la floraison des mandragores, c’est que les pendus ne sont pas bien loin.
Ce n’est qu’un premier roman et l’on sent là que Marius Degardin ne maîtrise pas toujours sa plume et se laisse parfois emporter par la véhémence de son personnage, et il y a de quoi.

Au fond de nous, on préfère ne pas savoir ce que l’auteur partage avec ses personnages, mais visiblement Marius Degardin est quelqu’un qui a quelque chose à dire.
Un premier roman percutant signé par un auteur bien jeune qu’il va falloir suivre de près.

Ce livre fait partie de la sélection du prix Envoyé par la Poste qui récompense les jeunes talents ayant transmis par voie postale leur manuscrit à un éditeur.
Il est également retenu dans la sélection du Prix Fnac 2025.

Bruno Ménétrier

Les mandragores
Roman de Marius Degardin
Editeur : Le Panseur
312 pages – 21,90 €
Date de parution : 14 août 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.