Le vide discographique de la mi-août invite à se pencher plus attentivement sur des artistes ou des groupes intéressants qui ont pu échapper à notre vigilance. Aujourd’hui les Brightoniens de Black Honey, qui, malins, publient leur quatrième album, Soak, justement le 15 août…

On dirait décidément que la capitale du Rock anglais – on parle de la musique originale, créative, qui ouvre de nouveaux horizons – n’est plus, depuis quelques années, Londres, Liverpool ou Manchester (une ville clairement dévastée par l’ouragan Oasis, derrière lequel la bonne musique a bien du mal à repousser), mais bel et bien Brighton. Exemple du jour : Black Honey, un quatuor d’indie rock remarqué outre-Manche, qui a néanmoins du mal à percer chez nous, en dépit de quelques vaillants défenseurs… On vous explique ça, en profitant du fait que le groupe vient de publier un quatrième album, Soak, enveloppé dans une pochette citant directement Orange Mécanique de Kubrick, et plus exactement la scène mémorable où Alex, en guise de traitement de sa propension à la violence extrême, est forcé de regarder des images insoutenables de la violence du monde.
Bon, nous vous avons appâtés en vous parlant de la créativité de la jeune scène de Brighton : admettons maintenant – ce qui rassurera nos lecteurs plus traditionnels – que Black Honey est quand même plus dans une lignée « indie » des années 90 : comprenez une pop ambitieuse, mélodique, flirtant largement avec les atmosphères éthérées, enrichie ça et là par des poussées d’adrénaline et de moments plus rock, plus lourds. Et avec une touche de noirceur gothique (une tendance à la mode, désormais). La voix de la chanteuse et co-fondatrice du groupe, Izzy B. Phillips, joue dans le registre habituel de la suavité candide, mais est capable d’aller chercher un « mal être » qui rend la musique plus intéressante qu’une simple succession de pop songs « noisy ». Il y a d’ailleurs par moments – les meilleurs – des échos de Lana Del Rey dans le chant d’Izzy, peut-être pas illogiques dans la mesure où les musiciens de Black Honey reconnaissent un goût affirmé pour le cinéma, et donc pour Hollywood.
C’est d’ailleurs plus dans les textes que dans la musique que se niche le malaise, sous-entendu dans le nom du groupe, ce « miel noir » qui coule et empoisonne : Insulin, derrière son allure d’ouverture quasi-commerciale du disque, nous parle de choses bien sombres (« You’re fucking with my insulin / It’s not fair / ‘Cause if I give myself a minute / Might just pull the plug and kill it, yeah » – Tu déconnes avec mon insuline / Ce n’est pas juste / Parce que si je me donne une minute / Je pourrais juste débrancher et tout arrêter, ouais). Dead, comme son nom l’indique, n’explose pas non plus de joie : « You can’t kill me now / ‘Cause I’m already dead / You can’t hear the crowd / That scream in my head / You can’t kill me now » (Tu ne peux pas me tuer maintenant / Parce que je suis déjà morte / Tu n’entends pas la foule / Qui hurle dans ma tête).
Car il semble que la vie d’Izzy n’a pas été facile jusqu’à présent, entre troubles « mentaux » et abus en tous genres, ce qui laisse forcément des traces… même si Soak nous est présenté comme l’album de la maturité, ou au moins d’une certaine plénitude émotionnelle. On nous explique que le malaise d’Izzy a été récemment diagnostiqué comme une forme d’autisme, et qu’elle est désormais presque sobre : si cela la rend un peu moins « rock’n’roll » comme personnalité, cela lui permet clairement de nous offrir une musique plus maîtrisée.
Ce qui ne veut pas dire que le disque soit complètement sage : écoutez les deux sommets du disque (à notre humble avis), la ballade exsangue qu’est Carroll Avenue qui prend une ampleur romantique quasi cinématographique, sur laquelle la voix d’Izzy change de registre, et l’étonnant Vampire In The Kitchen, qui avance à l’aveugle dans des murmures de fragilité touchante, avant d’exploser dans un déluge lyrique de guitares ! Si Soak contenait plus de tels moments, on pourrait parler de petit chef d’œuvre.
A l’inverse, même si on peut le regretter, l’album contient son lot de morceaux efficaces, calibrés pour le succès, comme le mélodieux exercice de montagnes russes soniques qu’est Dead, ou les « nirvanesques » mais tubesques Shallow et Slow Dance, deux titres susceptibles de plaire au plus grand nombre, même si – ou sans doute parce que – ils respectent les codes bien établis de l’indie rock. Ou encore la pop song presque trop jolie et contemporaine de Drag, heureusement sauvée par un beau solo de guitare de Chris Ostler, l’autre co-fondateur du groupe…
On leur préférera la valse suave et sautillante de Psycho, qui devrait séduire les toutes jeunes filles sans effaroucher les vieux barbons, le roboratif, presque inquiétant et plus énervé To The Grave, ou surtout la belle conclusion, avec son décollage quasi mystique, Medication. On aimerait donc que le groupe poursuive dans ces tentatives un peu plus « à la marge », qui le distingueraient plus franchement de ses glorieux aînés des années 90.
Si quelqu’un nous attache à une chaise et nous force à regarder pendant des heures des vidéos de Trump, Poutine ou Netanyahou, nous pourrons désormais nous protéger en écoutant en boucle, dans notre tête, Soak de Black Honey.
Eric Debarnot
Black Honey – Soak
Label : Foxfive Records
Date de sortie : 15 août 2025