Avec The Blues Summit, le « fiston Allman » a assemblé une sorte de « dream team » du blues, mais aussi de la soul, pour nous offrir un album d’une folle variété et d’une belle générosité.

On ne peut pas dire que les rejetons des grandes figures du Rock aient jamais particulièrement brillé dans la musique (on pense en premier lieu à la fratrie Lennon, par exemple…), ce qui nous va bien, étant peu disposés favorablement envers le népotisme. Mais il y a quand même des cas où le talent musical semble avoir été récupéré dans les gènes familiaux. Nul n’a oublié Jeff Buckley, peut-être encore plus brillant que son père, Tim… Aujourd’hui, on va se pencher sur le cas de Devon Allman, fils de Gregg. Ce qui est marrant, c’est que, comme pour Buckley, Devon n’a pas été élevé par son père – parents divorcés ! -, ne l’a rencontré que quand il était teenager, mais que, pourtant, quelque chose de son « génie » est passé en lui. Le trajet de Devon a été compliqué, avec plusieurs groupes (Honeytribe, Royal Southern Brotherhood, The Allman Betts Band), avant de se lancer il y a un peu plus de 10 ans dans une carrière solo. Ses fans expliquent ce parcours par la nécessité de construire patiemment sa propre identité, de s’affirmer comme chanteur, guitariste, voire comme catalyseur de projets collectifs, en s’affranchissant peu à peu de l’ombre du père, et de l’influence de l’Allman Brothers Band, qu’il cite quand même parmi ses groupes préférés.
The Blues Summit est son cinquième album « solo » (même si ce terme est ici totalement inapproprié), et a reçu une avalanche de critiques positives aux USA. Avant de rentrer dans le détail des chansons – pour la plupart assez « monstrueuses », en effet, il faut revenir sur son titre – un tantinet pompeux, de « sommet du Blues » : car, à la différence des multiples sommets organisés par nos politiciens, qui accouchent généralement d’une souris, le choix de Devon Allman, dont on connaît le goût pour les aventures partagées, les rencontres de voix et d’influences différentes, a été de construire son nouvel album en réunissant nombre de vétérans et jeunes pousses du blues (et de la soul…), pour partager avec lui le studio, la scène et l’inspiration… Et de ne pas les traiter comme de simples « invités », comme c’est le cas dans 99% des cas, mais de les mettre en avant.
Et, en écoutant The Blues Summit, on réalise combien la démarche de Devon Allman, la manière dont il a su exploiter l’énergie collective, la joie tangible que ces musiciens ont ressentie à jouer ensemble, lui a permis de construire 10 titres remarquables, chacun mettant en valeur une facette différente du blues.
Runners in the Night ouvre l’album avec un morceau plutôt rock, mid-tempo, suave, cuivré, et délicieux, avec une lead guitar impressionnante (assurée par Christone Ingram), le genre de titre qui s’impose immédiatement comme un tube. C’est plutôt le morceau suivant (littéralement énorme), Blues Is a Feeling, qui nous plonge dans le bain du Blues, qui nous en rappelle les fondamentaux, avec harmonica et ambiance millésimée : aux vocaux, Jimmy Hall de Wet Willie, qui est l’un des musiciens-clé du disque. Peace to the World, est beaucoup plus léger et joyeux, a des accents gospel et soul, et donne une envie irrésistible tous chanter en chœur, comme dans une petite église de la campagne profonde du Sud. Real Love, est un grand et magnifique virage vers la « soul sudiste » (comprenez : à la fois décontractée et torride), et bénéficie de la voix superbe de Sierra Green, chanteuse de la Nouvelle Orléans. Six minutes et neuf secondes de splendeur.
After You – un morceau signé et chanté par Allman lui-même, comme Runners in the Night – revient justement au même style quasi-classic rock : c’est parfaitement accrocheur, mélodiquement en particulier, tout en restant d’une élégance indiscutable. Certains citent Tom Petty comme influence sur ce type de morceau, et ce n’est pas ridicule. Une chanson qui aurait pu être un tube au début aux USA durant les années 70. Getting Greasy With Itest une composition de Larry McRay, qui, elle, respire et transpire Memphis par tous les pores (d’ailleurs les Memphis Horns l’illuminent de leurs cuivres). Wang Dang Doodle est une reprise de Willie Dixon : Hall est à nouveau au chant, et on est tous là autour des musiciens à taper des pieds et à frapper dans nos mains comme des imbéciles heureux, en chantant : « All night long ! All night long !« …
Sur Hands and Knees, McRay est au micro et à la guitare, et tire l’album dans la direction de B.B. King : on connaît bien pire comme référence, non ? Vient le tour de Little Wing, reprise risquée au possible (jouer un titre iconique de Jimi Hendrix, déjà maintes fois couvert et rarement avec génie, quoi de plus audacieux et casse-gueule ?) : ça passe ou ça casse, et là, ça passe, grâce à une « revisite » sans complexe, à base de riffs de guitare qui privent certes le titre de sa folle liberté hendrixienne, mais permettent à Allman et à sa troupe de se l’approprier. Et on se quitte sur Midnight Lake Erie, un superbe instrumental à l’atmosphère plutôt planante, mais plus sombre que le feu d’artifices de « good vibes » qui a précédé.
The Blues Summit permet donc – avec l’aide pas « si petite » que ça de toute sa bande d’amis – à Devon Allman de sortir définitivement de « l’ombre de son père », de démontrer qu’il n’est pas que l’héritier d’un nom illustre : en se positionnant comme un « passeur » – inspiré – du Blues éternel, en adoptant une approche non conventionnelle (intégrant de manière naturelle, organique, la soul et le rock…), en fédérant des générations de musiciens différents, il s’affirme (enfin ?) comme un musicien important d’un genre musical qui, décidément, résiste au temps et au laminage de la modernité. Un genre qui se porte aujourd’hui, en 2025, à l’écart des modes et des compromissions commerciales débilitantes, mieux que jamais.
Eric Debarnot
Devon Allman – The Blues Summit
Label : Ruff Records
Date de sortie : 25 juillet 2025