« Nourrices » de Séverine Cressan : un premier roman émouvant, ode à la vie et à la sororité

Le personnage de la nourrice est très souvent rencontré dans la littérature du XIXème siècle, un personnage d’arrière-plan juste désigné par sa fonction tellement cela allait de soi de payer une femme pauvre de la campagne pour allaiter son bébé lorsqu’on était un couple bourgeois. Séverine Cressan donne vie à ces femmes invisibles dans un premier roman aussi sensuel que bouleversant.

severine cressan
© Aliénor Bereder

Sylvaine est nourrice. Elle exerce son activité avec droiture et conscience, pas comme d’autres qui multiplient les marmots pour toucher un maximum de pensions. Une fois son fils sevré, elle prend en nourrissage Gladie, une enfant de la Ville. Une nuit, elle découvre dans la forêt un nourrisson, une petite-fille qu’elle choisit d’élever. Dans son emmaillotage, elle trouve un carnet écrit par la mère qui raconte le secret de ses origines à l’enfant qu’elle vient d’abandonner.

nourrices Severine cressanSéverine Cressan décrit parfaitement cette pratique de la mise en nourrice des enfants des villes dès leur naissance, la mère au foyer se consacrant à ses enfants est marginale voire inexistante au XIXe siècle. Et on découvre stupéfaits toute l’infrastructure mise en place pour encadrer cette véritable industrie du nourrisson : les bureaux de placement dans les villes avec des meneurs peu scrupuleux qui conduisent les nourrices à la ville pour être présentées aux parents (ce sont eux qui sont chargés de payer tous les mois après inspection des nouveau-nés) ; des nourrices « sur lieu » au domicile des bourgeois, d’autres à la campagne ; les conditions de placement atroces pour les enfants abandonnés qui eux ne rapportent rien dans ce système de l’allaitement mercenaire ; de façon générale, une surmortalité infantile très élevée à cause des transports longs parfois en plein hiver, de la mauvaise hygiène et d’un nombre trop élevé de bébés à nourrir.

Le panorama est complet sur ce commerce de misère aussi sordide que florissant, mais jamais l’aspect sociologique ne prend le pas sur l’aspect humain. En fait, Séverine Cressan a choisi de parer son récit des atours du conte.

Ainsi, le roman commence par une nuit de pleine lune où l’astre roux appelle Sylvaine dans la forêt jusqu’à une clairière brumeuse où gît le nouveau-né qu’elle sauve. On la voit faire corps de façon instinctive avec la nature comme envoûtée par les forces telluriques qui l’entourent. Et cette nuit fondatrice de l’Appel de la Lune saura se rappeler à elle à des moments clefs par des rêves oniriques de communion avec les éléments. Malgré une surcharge métaphorique parfois trop ostensible, on est profondément touchés par la poésie et la force qui se dégage de cette si puissante relation écoféministe.

Séverine Cressan parle à merveille du corps féminin : de son animalité  viscérale sublimée lors des scènes d’allaitement, de l’attachement instinctif à son enfant qui ne naît pas chez toutes les femmes, du corps allaitant exploité par des hommes cupides. Le roman ne se réduit pas à cela, mais c’est rare de lire de si beaux ou âpres passages sur le vécu corporel des femmes.

Comme dans tous les contes, le drame couve, avec des événements lourds qui vont éprouver et menacer l’amour de Sylvaine pour son enfant de la Lune, la nourrice étant fermement décidé à ce que le secret de ses origines inscrits dans le carne lui soit révéler lorsqu’elle sera en âge de comprendre. Et pourtant, ce qu’on retient c’est la lumière humaniste qui émane de chaque page. Nourrices est une ode à la vie et au lien charnel unissant les femmes et les enfants, qu’ils soient de leur chair ou pas, un hommage à la puissance de la sororité qui culmine dans une scène absolument magnifique qui bouleverse par sa façon de mettre au défi le patriarcat rural.

Au final, c’est un premier roman très réussi tant son écriture évocatrice et poétique, son univers affirmé plaçant les émotions au centre de toutes choses (on pense parfois à Franck Bouysse ou Cécile Coulon, c’est évidemment un compliment) et sa construction narrative ciselée font montre d’une maturité romanesque et d’une maîtrise formelle épatantes. On peut lui prédire le même succès qu’à La Petite bonne de Bérénice Pichat qui a séduit critiques et lecteurs à la précédente rentrée littéraire.

Marie-Laure Kirzy

Nourrices
Roman de Séverine Cressan
Editions Dalva
272 pages – 21,50€
Date de parution : 21 août 2025

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