Alissa Wenz retrace superbement la vie romanesque de Mélanie Bonis, compositrice injustement oubliée. Servi par un texte puissant et intime, Le Désir dans la cage figurera certainement parmi les pépites de cette rentrée littéraire.

Alissa Wenz est elle-même musicienne, autrice, compositrice et interprète, formée au conservatoire en chant et piano. Mélanie Bonis est de nouveau jouée en concert et dans les écoles de musique depuis le début des années 2000. Intriguée par son parcours et bouleversée par son œuvre, elle raconte dans Le Désir dans la cage cette vie empêchée, faite de passion et de musique.
En 1865, encore enfant, Mélanie Bonis découvre le piano dans l’appartement familial. Intégrée au Conservatoire grâce à César Franck quand elle est encore une toute jeune femme de dix-huit ans, elle côtoie Debussy et Satie. Elle y fait aussi la connaissance d’Amédée-Louis Hettich, poète et chanteur. Les deux jeunes gens tombent amoureux et créent ensemble des œuvres pour piano et chant. Ils souhaitent s’unir et vivre de leur passion commune. Mais les parents de Mélanie s’y opposent, préférant pour leur fille un mariage de raison et d’argent avec un riche industriel.
Amédée quitte la France pour l’Italie. Mélanie se conforme au souhait de ses parents, renonce à ses études musicales et à Amédée. La jeune femme se glisse dans le rôle de l’épouse parfaite de la haute-bourgeoisie parisienne. Hôtel particulier près du parc Monceau, villa à Étretat, personnel de maison, tout est à sa disposition pour couler des jours heureux. La cage est belle, la cage est dorée. La musicienne a perdu le goût de jouer. Cependant, cette envie viscérale de composer renaît en même temps que l’arrivée de son premier enfant.
Mélanie étonne et détonne dans cette société parisienne corsetée. Technicienne avertie et érudite, elle en montre à ces messieurs lors des dîners. Elle sait être fine critique quand on lui demande son avis sur le dernier concert auquel la fine fleur parisienne a assisté.
Après des années de vie quotidienne bien ordonnée, de silence et de renoncement, Mélanie et Amédée se retrouvent. De la création à la passion, il n’y a qu’un pas que les deux anciens amoureux franchiront…
Alissa Wenz a fait un choix audacieux : elle tutoie Mélanie et raconte sa vie à la deuxième personne. Il ne faut que quelques pages de lecture pour s’approprier son écriture et être transporté dans la musicalité des courts chapitres, tels les couplets d’un hymne dédié à une vie extraordinaire. Le lecteur est au côté de l’autrice, dans l’intimité de l’héroïne.
L’art est éminemment présent tout au long du récit, sous le prisme de la condition féminine. Être femme au XIXème siècle imposait un silence et un effacement que Mélanie Bonis n’a pas su tenir. Une femme pouvait jouer du piano, mais ne pouvait pas composer. D’ailleurs, le prix de Rome n’était pas ouvert aux candidates. Elles pouvaient assister en auditrices libres aux cours de composition du Conservatoire mais ne pouvaient pas prétendre au titre d’élèves. Qu’il en soit ainsi. Alors Mélanie Bonis a tranché dans le vif : son prénom a été raccourci à Mel pour créer un flou sur sa réelle identité. Ainsi, elle a pu composer et publier ses œuvres. Elle a fait de même pour sa vie amoureuse : elle a scindé sa vie en deux, quitte parfois à sentir le vertige du secret comme un danger imminent. Féministe et avant-gardiste malgré les conventions sociales auxquelles elle se pliait, Mélanie Bonis n’a pas rompu.
« Pour la première fois, tu penses que tu as fait du bon travail, et que ce morceau vaut la peine d’être entendu.
Tu rechignes à y apposer le nom de Mélanie Bonis. Ton prénom n’a pas d’avenir, pas l’avenir que tu lui souhaites, c’est un prénom de couturière. Dieu ! que c’est ennuyeux. Tu sais que les femmes ne sont pas prises au sérieux, tu mesures la prodigieuse exception qui t’a ouvert les portes de la classe de composition, tu redoutes les sarcasmes comme l’indifférence. Tu veux que ton travail soit estimé pour ce qu’il est, et tu formes donc le vœu, en toute logique, que l’on te prenne pour un homme. Tu proposes : Mel. Un prénom tranchant, conquérant, trois lettres posées là. Un prénom d’homme.
Tu seras Mel Bonis. Ta signature fait le pari de l’erreur de jugement.
Tu te sens plus forte, plus vive, plus drôle. Tu te dédoubles, tu te démultiplies. Tu te métamorphoses.
Mel Bonis est le nom de ta liberté. »
Le Désir dans la cage est bouleversant, vif, puissant et poétique. Que de nombreux lecteurs découvrent cette vie digne d’un roman !
Caroline Martin