Deux grandes figures américaines se produisaient à Paris, à 400 mètres de distance, en ce mardi de rentrée. Une soirée incontournable, pour les amateurs de folk, de post-rock, de rock « adulte », et de plein d’autres choses…
Hasard du calendrier, Cass Mc Combs et Matt Berninger étaient à Paris ce mardi soir, et jouaient à quelques centaines de mètres l’un de l’autre (4 minutes à pied exactement), et à quelques minutes d’intervalle. L’occasion était trop belle d’honorer l’œuvre de ces deux grands bonhommes, dans leurs registres différents.
Direction le 18ème arrondissement pour cette double affiche inattendue, en ce lendemain de rentrée scolaire, et tout d’abord à Balades sonores, rue Pierre Picard. On le sait, le disquaire emblématique est en difficulté et a alerté les média, sa clientèle, plus largement le public « rock » qui peut être sensible à sa cause¹, et continue de manière admirable son activité, notamment l’organisation de showcases d’artistes, connus ou à découvrir. Ce soir, par l’entremise de Domino, c’est Cass McCombs qui est de sortie, et fait son soundcheck tranquillement vers 19h30, prêt avant l’heure officielle de début (20h), et préférant finalement attendre un peu, aux cas où des « retardataires » arriveraient à l’heure. C’est donc l’occasion pour le chat de Balades sonores de se balader tranquillement entre les rayons, en attendant sa sieste, qui coïncidera avec le set (la folk music adoucit les mœurs félines apparemment).

Le chanteur – guitariste californien a une actualité, puisqu’il vient de publier, le 15 août, Interior Live Oak, son douzième album, comme d’habitude très beau, regorgeant de pépites, et dont la seule limite est d’être double (1h16) ; un peu de sélectivité n’aurait pas nui à l’auditeur, néanmoins ébloui comme au premier jour par l’alliance boisée de folk à l’os et de sa voix cristalline. A l’heure, Cass McCombs s’élance donc à pour un set de dix chansons et 50 minutes, dans son style caractéristique depuis vingt ans. A la guitare acoustique, appuyé par son compère Mike Bones, à la guitare électrique, qui amplifiera certaines mélodies avec bonheur, donnant du relief à des compositions marquantes telles Miss Mabee, Belong to Heaven ou la conclusive Peace. Naturellement, dans cet exercice, la part belle est faite au tout dernier album, avec huit des dix chansons retenues. On retient pour notre part surtout la très belle Priestless pour ouvrir le set, Missionnary Bell et Home at last, toutes sur la dernière livraison. La voix de Cass est pure comme toujours, les mélodies sont propres, les alternances couplets/refrains métronomiques, le musicien doit juste s’y reprendre à deux fois pour lancer Belong to Heaven : rien en tout cas qui ne puisse pas nous émerveiller. Et si les interactions sont limitées avec le public d’une cinquantaine de personnes massés dans les rayonnages du magasin, la proximité naturelle avec l’auteur, pas expansif mais avenant, rend l’exercice précieux. Un simple et très bon moment, même pour le chat, sorti de sa torpeur de fin de journée par la réverb et les zébrures de guitare électrique.

Cap à l’ouest en vue de la deuxième étape de cette soirée yankee, après avoir longé la Halle Saint-Pierre, et foulé les pavés de Montmartre, pour redescendre sur la voisine Elysée-Montmartre, pour le concert de rentrée de Matt Berninger. Il nous faut courir puisqu’il est prévu que son groupe et lui débutent à 20h50 précises, sans doute afin de respecter le couvre-feu de 22h30, le concert devant durer à peu près 1h40 selon les dernières setlists de la tournée actuelle. Le leader de The National a sorti au printemps Get Sunk, son très beau deuxième album solo, confirmant une créativité et une productivité, en groupe ou en solo, sans cesse renouvelée (après les albums sortis coup sur coup par son groupe en 2023, puis d’un live en 2024 immortalisant une tournée triomphante, comme nous avions pu le constater au Zénith de Paris). Matt Berninger n’est jamais rassasié, et c’est tant mieux !
Premier constat en entrant dans la salle du boulevard de Rochechouart : l’Elysée-Montmartre est bien remplie comme on dit, à près de 80% de la jauge, ce qui n’est pas si mal compte tenu de l’équation pas très « super » proposée par le tourneur ce soir – prix élevé (50 €) et lendemain de rentrée scolaire (un facteur non négligeable pour une bonne partie du public-cible).
A 20h50, notre grand échalas préféré se présente en toute logique dans un format assez classique, avec le groupe de musiciens, avec qui il a confectionné Get Sunk : Sean O’Brien (co-producteur et co-architecte de l’album) à la guitare, Garret Lang à la basse, et Sterling Laws à la batterie, appuyés aux claviers par Julia Laws alias Ronboy, qui a son propre répertoire et assurait également la première partie, que nous n’avons donc pas vue puisque nous étions avec Cass McCombs au même moment (la vie, c’est des choix). Ronboy appuie Berninger aux chœurs sur certaines chansons et chante véritablement avec lui deux chansons (Silver Springs et Silver Jeep).
Le quintet va délivrer un concert puissant, mélodique, puisant dans ses deux albums solo (en jouant l’intégralité du dernier), où les musiques n’écrasent jamais la voix grave et cotonneuse, qui reste son principal atout, tout en respectant bien la douceur inhérente aux ballades soft (Silver Jeep, Little by Little). Matt Berninger fait ce qu’il sait faire : de grands mouvements d’albatros (ectoplasme diraient certains), quelque part entre les personnages scéniques de Nick Cave et de Jarvis Cocker, arpentant la scène en tous coins, saluant et touchant le public des premiers rangs régulièrement, faisant des mouvements de mains bizarres, comme posant une incohérence (incongruence diraient certains) entre expressions du visage et du corps. Cette distanciation ironique entre ses mouvements et ses obligations de showman, on la retrouve plus chez un Cocker que chez Cave, et cela doit être son côté anglais inattendu. Mais c’est aussi pour cela qu’on l’aime ; Berninger donne sur scène, avec générosité, est imprévisible aussi, souvent, et c’est tant mieux.
Le début de set est relativement calme, posé, d’où émergent une belle version de Frozen Orange, qui évoque sous souvenirs d’été, enfant, dans l’Indiana, Distant Axis, où Berninger dédie aux Walkmen ( « The National leur doit tout ! » ) et sur laquelle il se fend d’un solo d’harmonica joyeusement massacré et plein d’auto-dérision (« C’est super facile d’en jouer… Non, en fait je suis nul à cet instrument… ») et All for Nothing, tout aussi ironiquement décrite comme « super optimiste ». Le crooner tient cependant à nous prévenir : il a prévu une montée en puissance dans la deuxième partie du set. A partir de Nowhere Special, en neuvième position, « tout sera lyrique, mais personne ne pleurera sur scène, je ne fais jamais ça ! » Promesse tenue : Nowhere Special nous fait nous envoler très haut, suivie par One More Second au groove délicieusement vicié, embrasée par le chanteur qui va bientôt tomber la veste. Puis, surprise dans cette ascension lyrique, un nouveau morceau, Why Don’t Nobody Love Me ?, présenté comme « juste fini ce jour », ceci après l’hypnotique Black Letter Font, également récente, en première partie de concert. Après vérification, ces deux créations n’étaient pas joués pour la première fois ce soir, mais ne l’avaient été qu’une poignée de fois sur scène depuis fin août. Quoi qu’il en soit, fait rarissime avec des morceaux non connus du public testés en public, ça marche de manière exceptionnelle ce soir, les deux morceaux étant juste excellents… et confirmant au passage une fenêtre sur la créativité toujours en marche de Matt Berninger.
Impeccable, ensuite, le choix des deux seules reprises choisies de The National, qui sans doute dans un clin d’œil volontaire, se succédaient comme dans leur discographie : Gospel (ultime track de l’album Boxer, 2007) et Terrible Love (première track de High Violet, 2010), cette dernière étant dédiée par Berninger à Ben Lanz, multi-instrumentiste, collaborateur régulier du groupe, présent dans la salle ce soir), qui laisse le public en transe et abasourdi. Après que le groupe ait clôturé le set par un magnifique Bonnet of Pins (dont Berninger insiste pour rappeler la paternité partagée par O’Brien), le rappel, institué sur cette tournée, est composé de trois chansons : les très belles Times of Dfficulty et Inland Ocean (qui nous a semblé supérieure sur scène) sur le dernier album, entourant de manière inattendue une reprise du Blue Monday de New Order, « une chanson très sympa à jouer sur scène », dit-il simplement. Et là aussi, cela marche superbement, face à un public diversifié mais composé de beaucoup de quadragénaires et quinquagénaires.
Après 1h35 de show, le contrat d’un concert élégant, dense, de rock adulte, souvent lyrique, nous présentant une autre facette du leader de The National, nécessairement pas éloignée de l’univers de ce groupe américain emblématique des vingt-cinq dernières années, est largement tenu. 50 balles ou pas, lendemain de rentrée scolaire, ou pas ! Une bien belle soirée américaine, dans laquelle une grande absence a brillé, qui constituerait sans doute notre seule réserve, celle d’un engagement et de commentaires politiques, à la hauteur de l’absence du locataire actuel de la Maison Blanche ces derniers jours. On vous adore, Messieurs, mais allez, allez, un peu de courage n’aurait pas nui !
Cass McCombs :
Matt Berninger :
Texte : Jérôme Barbarossa
Photos : Laurence Buisson (Cass McCombs) / Laurent Devoille (Matt Berninger) – un grand merci à Laurence et Laurent !
¹ Plus d’informations, et notamment sur les moyens de soutenir Balades sonores : https://www.baladessonores.com