« La maison vide » de Laurent Mauvignier : une sublime fresque familiale

Immense coup de coeur pour le dernier et épique roman d’un des plus grands écrivains actuels. Laurent Mauvignier signe une magnifique ode aux souvenirs de ses aïeux, pris dans les tourments d’un siècle d’histoire de France et des secrets familiaux enfouis durant des générations. L’écriture est flamboyante, le propos d’une pudeur et d’une beauté folles, déjà un classique de la littérature du 21e siècle.

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© Zazzo/Les Editions de minuit

Dès les premières pages, le style littéraire de Mauvignier s’impose : phrases longues, amples, flots de mots qui se télescopent et qui soudain stoppent brusquement et vous laisse hagard. On est en terrain connu pour qui admire déjà son oeuvre (Des hommes, Dans la foule, Histoires de la nuit) et il faut continuer à l’aimer car La maison vide possède près de 750 pages, donc un épais roman, mais qu’on ne lâche pourtant jamais… Ce style, donc. Singulier et magnifique, qui trouve enfin un écrin parfait dans l’évocation, tel un feuilleton télévisé, de sa famille sur trois générations. Des destins romanesques incroyables, imaginés par la seule évocation d’objets de souvenirs… une vraie saga – au sens noble du terme – qui emporte, qui fascine, et qui tutoie des sommets quand elle est servie par cette écriture parfaite.

la-maison-videLe postulat de départ est pourtant on ne peut plus classique : l’auteur s’occupe de sa maison de famille qui a connu plusieurs générations et y retrouve des objets ayant appartenu à ses ancêtres – un piano d’une arrière-grand-mère, une légion d’honneur, etc… Il en décline, sur la base d’anecdotes, de souvenirs et de beaucoup d’imagination, une intense romance généalogique, et fait de Marie-Ernestine, Firmin, Marguerite, Lucien, tous les anciens membres de sa famille, les héros de son ouvrage, tour à tour tourmentés, fiévreux, résolus, en tout cas, de vrais personnages épiques, comme un roman de Zola, de Maupassant ou du Flaubert mais en plus moderne.

Flaubert d’abord, évidemment. La maison vide semble s’inspirer d’héroïnes comme Emma Bovary tant l’écrivain s’attache aux femmes de son arbre généalogique : l’histoire de sa famille, c’est d’abord celle de Marie-Ernestine et de sa fille Marguerite, les deux portant les deux tiers du livre à bout de bras, à bras-le-corps, et de toutes leurs tripes. C’est dans leur choix de vies, dans leur résilience, dans leurs décisions – plus ou moins heureuses – que va se bâtir la destinée des Mauvignier. Le dernier-né de cette tribu, Laurent donc, met parfaitement en lumière la complexité de ses personnages, dissèque les pensées, les faits et gestes, les démons intérieurs et les conséquences qu’ils façonnent pour chacune et chacun des protagonistes de ces histoires.

On a évoqué plus haut Zola : sa saga des Rougon-Macquart, en plus d’être citée dans le roman, est une vraie référence directe : le livre délivre pareillement des portraits, intimes et flamboyants à la fois, de personnages pris dans les tourments de moments historiques marquants d’une France agitée (ici, de la fin du 19ème siècle à la fin de la seconde guerre mondiale) mais aussi dans les méandres des liens familiaux et sentimentaux, avec des vies épanouies ou contrariées, des existences subies ou au contraire assumées, des non-dits terribles et des secrets trop enfouis, qui ressurgissent bien plus tard, bien trop tard ; mais qui permettent à l’auteur de comprendre, de trouver des réponses trop longtemps impossibles, de pardonner aussi, ou de faire la paix avec lui-même et son ascendance. C’est d’ailleurs la première fois que Laurent Mauvignier ose le « je », pour établir un parallèle entre ce qu’il suppose et qu’il invente des histoires du passé et les drames plus récents restés dans des zones d’ombre (le suicide de son père quand il était ado). Cette évocation personnelle est à la fois très simple et très pudique, elle touche d’autant plus le lecteur, pris dans ce tourbillon littéraire de fresque incroyable où les guerres, les hommes, les femmes, une nation, un terroir, une famille, des morts, des trahisons, des dilemmes, des choix, des mensonges, des horreurs, des vérités, des amours se télescopent magnifiquement pour converger vers un dépouillement intime de toute beauté, ainsi que des réponses enfin, un apaisement personnel. Ou quand l’écriture permet, malgré le fantasme du romancé et l’épique des faits historiques, de panser les maux en pensant les mots.

L’auteur le dit si bien au détour d’un paragraphe : « …non pas comme il était écrit, mais comme il sera écrit un jour, près d’un siècle plus tard, sous mes doigts qui ne font que répéter des allusions et des anecdotes qui ont rampé jusqu’à mon imagination, mes idées, mon cerveau, pour glisser sur un clavier près d’une centaine d’années après les faits, peut-être réagencées par le temps et tous ceux et celles les ayant colportés jusqu’à moi, qui m’en saisis comme si d’un coup de vent on pouvait faire une maison et construire du solide avec du vide et de l’air en mouvement ».

Vous l’aurez compris : La maison vide est un pur chef-d’oeuvre. Cela faisait longtemps qu’un roman ne m’avait pas autant emporté, subjugué, ému et dont la force littéraire vous happe dès le début pour ne plus vous lâcher. De la très grande littérature, possiblement un futur classique du roman français. Et qui, du moins, assoit déjà Laurent Mauvignier à la table des plus grands écrivains actuels.

Jean-françois Lahorgue

La maison vide
Roman de Laurent Mauvignier
Editions de Minuit
745 pages, 25€
Date de parution : 28 août 2025

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