« Des obus, des fesses et des prothèses » : d’Arno Bertina : un roman singulier et engagé

Dans Des obus, des fesses et des prothèses, Arno Bertina décrit un palace qui a été réquisitionné pour accueillir des blessés de guerre d’un côté et qui a une autre partie, dédiée à la chirurgie esthétique. Une occasion pour l’auteur de décrire avec précision nos travers, nos petites compromissions et l’état du monde.

Arno Bertina
Francesca Mantovani © Gallimard

Dans un palace non loin de Tunis, peu de temps après la chute de Ben Ali, l’auteur arrête sa focale sur un lieu hors du temps. Un palace qui n’en est plus un avec d’un côté des hommes blessés par la guerre en Lybie et de l’autre des femmes avec des pansements variés suite à des interventions en chirurgie esthétique. Au milieu de tout cela, il y a une piscine où chacun se croise, s’observe, se jauge. La ronde des corps abîmés peut alors commencer.

Des obus des fesses et des prothesesL’auteur passe d’un personnage à un autre dans ce roman, en développant différents points de vue à partir de ces deux lieux dans le palace. Il débute avec une institutrice qui vient aider les blessés sur son temps libre et qui découvre toute l’horreur de la guerre et dans le même toute la vulnérabilité des hommes. Il poursuit avec un médecin gravement blessé alors qu’il opérait et qui tente de reprendre contact avec son corps malgré les blessures. On découvre aussi une femme qui exécrait la chirurgie esthétique et qui change petit à petit d’avis sur la question avant de finir par se rendre dans le palace. Rafika, Madjed, Naïma ou encore Hassen, sont autant de regards et de trajectoires de vie restitués par l’auteur. Pour certains ils vont se croiser, pour d’autres non. Mais tout va se dérouler dans ce lieu hors du temps et si particulier.

Arno Bertina livre une réflexion vraiment intéressante sur notre rapport au corps, sur la façon que l’on a de prendre soin de lui ou non et sur ce qui se joue derrière nos enveloppes corporelles. C’est un roman choral original qui donne une voix à ceux que l’on entend peu une nouvelle fois. Une voix à des personnes marginalisées notamment des femmes, qui font face à des injonctions sur leurs corps dans une société patriarcale qui laisse peu de liberté. J’ai découvert le travail de l’auteur avec Ceux qui trop supportent qui m’avait déjà beaucoup marqué. Un livre écrit suite à sa rencontre avec des ouvriers en lutte dans l’entreprise d’un équipementier automobile. Dans Des obus, des fesses et des prothèses, il bascule dans la fiction en partant tout de même de situations réelles avec la guerre en Lybie notamment.

Derrière les voix des différents personnages, on distingue la machine à broyer des vies qu’est la guerre et plusieurs questions émergent. Comment réagir lorsque son corps change ? Comment réagir lorsque les changements découlent d’une démarche personnelle pour ces femmes ou lorsque ces changements sont occasionnés par les violences de la guerre pour ces hommes ? L’auteur utilise ces différentes situations pour questionner le lecteur derrière les actes de ses personnages, donner du sens à leurs démarches sans donner de réponses toutes faites, sans jugement.

C’est parfois cru, il y a aussi des passages poignants et ça sonne souvent très juste. Des obus, des fesses et des prothèses est un ovni en somme, jusqu’à dans son titre, avec des dialogues percutants, une forme inattendue et une très belle surprise à l’arrivée. Le travail d’Arno Bertina est à découvrir sans hésiter, ce mélange de réflexions sur notre humanité et en même temps, cette façon de restituer le caractère grotesque de pas mal de nos actes.

Sébastien Paley

Des obus, des fesses et des prothèses
Un roman d’Arno Bertina
Éditeur : Verticales
20,50 euros – 256 pages
Date de parution : 21 août 2025

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