Quand deux auteurs notables du polar norvégien collaborent, on peut s’attendre à des étincelles. Ou pas… Avec Faux-semblant, seconde enquête du tandem Blix et Ramm, Jørn Lier Horst et Thomas Enger dynamitent les fêtes de fin d’année à Oslo et font monter l’adrénaline. Dommage que la vérité, quand elle éclate, soit moins crédible qu’un feu d’artifice en plein hiver.

« Collaborations don’t work » chantaient Alex Kapranos et Russell Mael sur le titre éponyme de leur album collaboratif, FFS. Il s’agissait bien sûr d’un trait d’humour, mais peut-être aussi de conjurer le mauvais sort. Mais si le sujet des collaborations musicales est trop vaste pour que nous nous étendions dessus aujourd’hui, la pratique de collaboration entre auteurs existe également dans le domaine littéraire. Ou plutôt, quasi exclusivement dans le domaine de la littérature de genre, policière, SF ou fantastique avant tout. Avec là aussi des résultats régulièrement inférieurs à la somme des talents des « collaborateurs » (Un exemple facile : qui a lu les quelques livres que Stephen King a écrit dans un mode de collaboration, à part ses fans « hardcore » ?). Et, malheureusement, ce n’est pas le tandem formé par Jørn Lier Horst et Thomas Enger qui va nous faire changer d’avis…
Les amateurs de polars scandinaves connaissent déjà bien Jørn Lier Horst, un ancien flic devenu écrivain de haut niveau, dont nous chroniquons ici régulièrement les livres. Thomas Enger, journaliste, est moins célèbre chez nous, même s’il peut quand même être qualifié de « romancier réputé », dans le genre, soit disant « spécialiste des intrigues tendues », quoi que ce soit que ça signifie (auteur de « romans de gare », comme on disait quand les voyageurs lisaient dans le train…). Tous les deux ont donc créé une série commune, où se croisent l’inspecteur Alexander Blix, vieux routier pas trop sympathique et marqué par ses blessures intimes, et Emma Ramm, jeune journaliste impertinente, bien de notre époque, qui se mêle un peu trop des affaires de la police, sans avoir une grosse éthique journalistique. Chacun des deux personnages principaux est dont a priori nourri de l’expérience « réelle » de l’un des deux collaborateurs, alors on se dit : pourquoi pas ?
Faux-semblant est le second roman de la série Blix et Ramm, écrite à quatre mains – quoi que ce soit que ça recouvre comme pratique exacte (construction conjointe du scénario sans doute, mais quid de l’écriture effective du livre ?) -, qui en compte désormais cinq, pas encore tous traduits en français. Faux-semblant a été publié en Norvège en 2019 sous le titre Røykteppet, ce qui signifie « écran de fumée » (encore une fois, un bien meilleur titre que Faux-semblant, même si en révélant peut-être trop…). Le livre démarre sur une attaque terroriste lors du feu d’artifice du Nouvel An à Oslo, que Blix soupçonne de dissimuler un règlement de comptes personnel lié à une vieille enquête de disparition d’enfant sur laquelle il a travaillé, sans pouvoir l’élucider.
La construction de Faux-semblant est classique pour un « page turner », avant tout efficace : des chapitres brefs, une alternance de points de vue entre Blix et Ramm, et évidemment une foule de rebondissements savamment placés en fin de chapitre. Et l’alchimie entre Blix, figure sombre et tourmentée, et Ramm, qui joue volontiers les électrons libres, fonctionne bien, même si elle est un peu sous-exploitée : on sent qu’il y a là matière à pimenter, et surtout à conférer du réalisme à une intrigue souvent artificielle. Car c’est bien là que le bât blesse : Faux-semblant nous emporte donc grâce à son tempo, mais peine à convaincre. Le manque de profondeur psychologique est flagrant, en dépit du nombre de drames humains qui sont empilés dans l’histoire, et surprend de la part de Jørn Lier Horst, qui est bien plus âpre dans ses œuvres personnelles.
Et surtout, si la toute dernière partie accroche le lecteur avec une montée en puissance spectaculaire, la résolution finale frôle le grand n’importe quoi : trop invraisemblable, trop artificielle, elle donne l’impression que les auteurs ont sacrifié la crédibilité sur l’autel du spectaculaire. En définitive, Faux-semblant est loin d’être un mauvais polar : on le lit vite, on y prend du plaisir, mais il confirme aussi les limites d’un duo qui, malgré ses atouts, peine encore à dépasser le stade de la « bonne série B » du thriller nordique.
Comme quoi, voilà une nouvelle démonstration que… « Collaborations don’t work » !
Eric Debarnot