Retour gagnant pour le groupe Américain devenu un trio. D’un foisonnement d’instruments émergent 9 titres qui vont marquer cette rentrée musicale et qui ne font que confirmer le talent singulier du groupe et d’Adrianne Lenker en particulier.

Ca a pas mal tangué dans l’univers Big Thief depuis 2022. L’album Dragon New Warm Mountain I Believe In You avait soufflé tout le monde par son ambition inédite, dans la forme dans le fonds : 20 titres passant de la country au trip hop, sans aucune volonté de cohérence si ne n’est la qualité, avec de nombreux moments de pure beauté. Le genre de disque qui marque même si pas facile à digérer. Le groupe a manifestement eu besoin de reprendre ses esprits car nous avons dû attendre 3 ans pour pouvoir entendre la suite tant attendue. Dans l’intervalle, Adrianne Lenker et Buck Meek ont sorti des albums solos remarqués et Lenker a produit l’album de Tucker Zimmermann.
La sortie de Double Infinity marque le début d’une nouvelle ère avec le départ du bassiste historique Max Oleartchik qui était l’un des architectes importants du son Big Thief. Le groupe est donc maintenant un trio et a utilisé de nombreux collaborateurs pour jouer sur le disque, dont l’artiste new age Laraaji. C’est donc au moment où le groupe en tant que tel comporte le moins de membres que le son de Big Thief apparait comme étant le plus riche.
Après 3 semaines de sessions intensives au cours lesquelles il y a eu beaucoup d’improvisations, le groupe sort un album nettement plus ramassé de 9 titres ce qui n’est pas pour nous déplaire. 3 splendeurs avaient été dévoilées en single, et l’album est plus qu’à la hauteur, porté par des arrangements somptueux et l’univers de Lenker. Incomprehensible est révélateur de ses thèmes de prédilection : La nature, le vieillissement, elle nous décrit un voyage qu’on aimerait certainement faire avec elle : Highway 17, cotton candy rain / Driving with my lover, we missed our plane / So we added on the hours to see the lupine flowers / Way out past the border, we blew through Thunder Bay / The pine trees are narrow, a billion broken arrows / The ravens and the crows, robins and the sparrows (Route 17, pluie de barbe à papa / Conduisant avec mon amour, on a raté notre vol / Alors on a prolongé les heures pour voir les lupins / Loin au-delà de la frontière, on a traversé Thunder Bay / Les pins sont étroits, un milliard de flèches brisées / Les corbeaux et les corneilles, les rouges-gorges et les moineaux). Dans les vers suivants, elle évoque le passage du temps et sa sérénité quant au process : In two days it’s my birthday and I’ll be 33/But that doesn’t really matter next to eternity /… / I’m afraid of getting older, that’s what I learned to say / Cause society has given me the words to think that way (Dans deux jours, c’est mon anniversaire et j’aurai 33 ans / Mais ça n’a pas vraiment d’importance face à l’éternité /… / J’ai peur de vieillir, c’est ce que j’ai appris à dire / Parce que la société m’a donné les mots pour penser comme ça).
L’écriture d’Adrianne Lenker n’est pas banale et sa personnalité est contributrice à sa force d’attraction et au succès que le groupe rencontre. Le non anglophone y trouvera bien entendu également son compte, car la musique est suffisamment forte pour se suffire à elle-même, et d’une subtilité jamais prise en défaut. A la manière d’un Lambchop, le spectre sonore est rempli par une multitude d’instruments pour créer un effet épique porté par la voix à la fois fragile et évocatrice de Lenker. Words poursuit sur cette veine avec une guitare acoustique et une batterie mixée plus en avant. Los Angeles, classique instantané est extraordinaire avec une Adrianne Lenker bouleversante nous témoignant d’une relation d’amour/amitié sous fond de géographie de la Cité des Anges. Evidemment nous pouvons imaginer que cette relation est celle qu’elle a encore avec Buck Meek malgré leur divorce : Two years feels like forever/But I know you without looking/You call, we come together/Even without speaking:( Deux ans semblent une éternité / Mais je te connais sans te regarder / Tu appelles, on se retrouve / Même sans parler)
Démarrant par les rires du groupe et de ses collaborateurs, c’est le premier morceau d’une trilogie au cours de laquelle le groupe rompt pour un temps avec les expérimentations pour délivrer des compositions qui devraient leur garantir un succès assuré en concert : Un groove imparable (Saluons le travail toujours inventif du batteur James Krivchenia accompagné par 3 percussionnistes), des mélodies stellaires et cette voix sublime. Sur le morceau titre Double Infinity, Lenker chante sur un registre plus élevé pendant que les musiciens œuvrent en retrait pour lui permettre de donner son meilleur.
No fear semble être le produit du travail en studio, basé sur des boucles hypnotiques et probable résultat d’un jam entre le groupe et les musiciens invités. Les percussions sont de la partie sur Grandmother qui est le morceau sur lequel l’influence de Laraaji est la plus importante, ce dernier remplissant l’espace avec des vocalises orientales de toute beauté que l’on espère entendre en concert. Si il faut trouver un titre faible sur ce disque, Happy With You est le candidat idéal puisqu’il n’est que répétition, le titre étant notamment déclamé sur près de 4 minutes qui font d’autant plus apprécier How Could I Have Known, qui conclut de façon très traditionnelle et quasi Nashvillienne un album qui sera assurément bien placé dans les palmarès 2025.
Ce n’est pas facile de qualifier la musique de Big Thief : pop, country, indie rock, ce groupe échappe aux qualificatifs faciles. Le succès de cette musique somme toute exigeante nous redonne la foi. Deux Olympia sont prévus en 2026 à Paris, nous y serons.
Laurent Fegly
Big Thief – Double Infinity
Label : 4AD
Sortie le 5 septembre 2025