Icône de la BD, Frank Margerin revient sur son parcours hors norme dans un entretien mené par Samuel Guillerand. Entre Lucien, les riffs de guitare et les planches devenues cultes, l’auteur dévoile coulisses, anecdotes et archives d’une époque où la bande dessinée est passée de l’underground au statut de classique.
Tintin, Lagaffe, Lucien. Chacun de ces personnages de bandes dessinées a marqué des générations. Frank Margerin est le père de Lucien, le rockeur qui accompagnera les ados bédéphiles et fans de rock durant trente années. A travers ses aventures, Lucien offre des Polaroïds de vie et s’offrira même le luxe de vieillir avec ses lecteurs. Dessinateur de bandes dessinées depuis les années 70, Frank Margerin a rapidement trouvé éditeurs à sa santiag grâce à la revue Métal Hurlant, plus tard Fluide Glacial et les maisons d’éditions Les Humanoïdes Associés, Dargaud et Albin Michel. Des revues de charme comme Lui et Playboy publieront aussi ses dessins.
A travers un entretien fleuve mené par le journaliste et musicien Samuel Guillerand, éditeur de nombreux fanzines et auteur de plusieurs livres centrés sur le rock, Frank Margerin se livre comme jamais sur son parcours, attiré très jeune par le dessin, son père artiste-décorateur l’initiera aux plumes et pinceaux. Le jeune Margerin préfère la Bd à la publicité, pourtant plus tendance et rémunératrice à la fin des années 70. Il est attiré par les disques et les guitares, et tel la gomina, il se sent à sa place dans le milieu du rock&roll. Ce dernier sera un puits sans fond pour ses histoires. Ses personnages, souvent inspirés par la famille ou par ses potes, sont immédiatement attachants, surtout Lucien, rockeur sympa à la banane légendaire qui devient le personnage principale de la série Lucien, onze tomes qui s’étaleront sur trente années. Margerin s’inspire des 50’s et 60’s pour le look, les bars, les flippers et les voitures, mais encore la bande de Ricky et Lucien dans les 80’s. Cet anachronisme fera le bonheur des lecteurs, toujours plus nombreux, et le succès de la série.
L’ouvrage propose donc un zoom sur sa carrière de dessinateur de BD et de musicien à travers de nombreux groupes (Denni’s Twist qui connaitra un succès au Top 50, mais aussi Los Crados, Ricky Beaulieu et les Starters). On y croise une multitude de dessinateurs de BD (Denis Sire, Vuillemin, Moebius, Serge Clerc, Jano, Tramber et Dodo entre autres), des éditeurs (le génial Jean-Pierre Dionnet à qui Margerin doit beaucoup, Choron) et des musiciens (Renaud, Bijou) sans oublier le pas cool mais inégalable Philippe Manœuvre.
De nombreuses planches inédites, des pubs, des invitations et autres affiches ornent l’ouvrage. Le narratif est digne des scénarios de BD, avec des anecdotes en légion qui relatent aussi bien les menaces des Hell’s Angels, ses rapports avec la marque Harley Davidson, que la concurrence et la vie personnelle de l’auteur. Margerin concède que ce sont bien les histoires foireuses qui intéressent le lecteur, et pour ca, son entourage l’aide bien. Il nous dépeint évidemment une époque révolue où la BD est passée du statut d’underground à celui de classique. Margerin croquera d’autres personnages comme Manu, Momo le livreur-rappeur, ou les comiques Shirley et Dino, et s’octroiera même les rouflaquettes de président du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême.
Avec un œil dans le rétroviseur et l’autre scrutant l’horizon, Margerin a su combiner les deux regards dans son travail, tel le motard qu’il a toujours été.
Mathieu Marmillot