« In violentia veritas » de Catherine Girard : mon père, cet assassin que j’aimais tant

Le triple assassinat du château d’Escoire, survenu le 24 octobre 1941, a été pendant longtemps une énigme, le principal suspect, le futur écrivain Henri Girard (auteur du Salaire de la peur sous le pseudo Georges Arnaud) alors âgé de 24 ans ayant été finalement acquitté. Jamais élucidé, ce mystère a été maintes fois revisité, notamment par Philippe Jaenada dans La Serpe (Prix Femina 2017). Dans son livre choc, Catherine Girard, la fille d’Henri, propose une toute autre version des faits.

catherine-girard-202
© Photo JP Paga/Grasset

Dès les premières pages, pas de faux suspense, la question de la culpabilité ou non du père, est évacué, de façon sobre et définitive. Catherine Girard a quatorze ans quand un camarade de classe lui apprend que les professeurs la surnomment « la fille de l’assassin ». Bouleversée, elle en parle à son père qui lui avoue que tout est vrai, qu’il a bien tué à la serpe son père, sa tante et la servante de la famille.

in violentia veritasCette révélation, terrible, c’est une secousse tellurique, un monde qui s’écroule pour une fille qui adore son père. Et pourtant, à aucun moment elle ne pense que c’est impossible. Il lui a fallu cependant « un demi-siècle pour surmonter le déni», pour le faire fondre et se défaire de l’emprise de l’amour porté à ce père décédé en 1987, « regarder sans juger », pour passer outre l’effroi et pouvoir admettre l’inacceptable.

Ecrire sur son père assassin est un acte insensé. Dans son livre, Catherine Girard ne cherche jamais à l’excuser ou à l’absoudre, elle cherche juste à comprendre ce qui l’a conduit à cet acte criminel. Elle n’écrit pas pour dire « mon père a tué », elle écrit pour révéler toutes les vérités enfouies que la première écrase, afin de dépasser l’atrocité du drame familial. Derrière chacun de ses mots, on sent l’urgence existentielle qui brûle en elle à remonter aux racines du mal.

Elle va ainsi plonger dans les « abysses de (son) sang » en mode archéologie familiale. Et ce qu’elle découvre est terrible. Son père est né dans une famille d’aristocrates fortunés. Il a perdu sa mère lorsqu’il avait neuf ans et juge responsable sa grand-mère qui a toujours détesté sa bru anticléricale et anarchiste et a refusé de payer pour la soigner. C’est alors tous les mécanismes de la violence qui sont analysés, tout en nuances.  Dans cette famille matriarcale, la violence est atavique. A l’emprise des femmes répond l’irascibilité des hommes. Le père d’Henri, veuf inconsolé, bat son fils.

« Ce premier crime est pour beaucoup dans la suite de l’histoire. Admis, banalisé, perpétré jour après jour, pansé coup après coup tout au long de l’enfance. On pèse sur un enfant toute sa violence, on viole sa candeur, on abat sur lui à grandes gifles, à coups de poing, à coup d’insultes, son écrasante misère. Quand l’enfant grandit, quand le travail de sape est achevé, la misère fleurit et son nectar devient un poison qui se nomme la haine. »

On parle souvent des mères toxiques en littérature, mais peu des pères. Le tableau que Catherine Girard dresse de cette relation prisonnière d’une violence héréditaire est saisissant. Elle reproduit ainsi des extraits de lettres échangées entre son grand-père et son père qui sont pleine de respect et de tendresse mutuelle alors que la violence se déchaîne physiquement entre eux.

Même si parfois le récit tourne un peu en rond, avec beaucoup de redondances ( comme si pour briser le tabou il fallait lui mettre des coups de butée, encore et encore), son investigation à explorer ce qui a été tu passionne, d’autant que Catherine Girard a le style d’une véritable écrivaine (c’est son premier livre), son oeuvre est très littéraire, portée par une écriture affutée qui transmet ses vérités avec une grande force et une rigueur qui rend caduque toute autre version de l’histoire. Elle excelle à raconter la férocité des relations familiales dans des dialogues à l’énergie immersive.

« Mon père a réglé son problème en l’éradiquant à la source, comme on gratte un cancer.(…) Il a raclé jusqu’aux racines du mal et l’opération a réussi. Il est ensuite redevenu ce qu’il aurait dû être toujours. Celui que tout au fond il n’avait jamais cessé d’être : un homme bon. C’est là sa rédemption première. »

C’est un tour de force que d’avoir réussi à écrire une déclaration d’amour à son père tout en racontant son parcours de tueur, la lucidité du propos, l’urgence de savoir et la clinicité factuelle se conjuguant en un équilibre qui semblait impossible à trouver.

Marie-Laure Kirzy

In violentia veritas
Roman de Catherine Girard
Edition Grasset
352 pages – 22€
Date de parution : 20 août 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.