L’énigmatique romancier japonais Uketsu est de retour avec un nouveau livre qui mêle à récit, énigmes et dessins. Mais si le début de Strange Houses est plaisant, le roman finit par décevoir…
Romancier, vidéaste et dessinateur, Uketsu est un artiste complet assez singulier et énigmatique. On ne connaît pas sa véritable identité et, sur ses photos, il apparaît toujours en noir avec un terrifiant masque blanc. Cette image qui renvoie explicitement aux films d’horreur sied bien à son univers romanesque que l’on a pu découvrir il y a quelques mois avec le très réussi Strange pictures. Dans ce premier roman, Ukestu construisait un habile patchwork narratif dans lequel les dessins qui accompagnaient le livre dissimulaient les clés d’une énigme particulièrement effrayante. Son deuxième livre, Strange houses repose sur le même mécanisme : un mystère, une enquête et des dessins (ici les plans de plusieurs maisons).
Le narrateur principal de Strange houses est un journaliste free-lance spécialisé dans l’occulte. Fasciné par les énigmes et le surnaturel, il est contacté par un ami qui envisage d’acheter une maison à Tokyo. Mais celle-ci semble étrangement conçue et ses plans laissent apparaître des espaces sans fenêtres entre les murs. Aidé d’un architecte, le narrateur ne tarde pas à deviner les fonctions macabres de ces pièces, et les deux apprentis enquêteurs découvrent également que cette maison n’est pas la seule à cacher de mystérieux espaces…
Strange Houses commence donc peu ou prou comme Strange Pictures : les plans de la maison sont reproduits dans le livre et les “détectives” du roman les analysent presque sous nos yeux et nous livre ainsi petit à petit les clés d’un mystère particulièrement sordide. Composé essentiellement de dialogues, Strange Houses fonctionne très bien pendant la première partie du récit. Certes, la dimension purement littéraire du livre est quelque peu sacrifiée, mais le jeu qui s’instaure entre le lecteur et les personnages – qui nous invitent presque à enquêter avec eux dans la mesure où il dispose des mêmes indices que nous – fonctionne bien et le divertissement est plaisant (à l’instar de celui proposé dans Strange pictures).
Mais, à mesure que l’énigme s’épaissit par l’ajout d’éléments supplémentaires, que d’autres plans de maisons viennent s’ajouter au premier, et que les personnages se multiplient, on sent poindre une certaine lassitude. Le récit nous donne le sentiment de tourner un peu à vide et l’on finit même par se perdre au milieu d’une intrigue qui paraît artificiellement complexe. La déception est d’autant plus grande que le principe quasi ludique du récit nous paraît être une bonne idée. Ajoutons par ailleurs que, comme dans son précédent livre, Uketsu joue beaucoup sur une peur insidieuse dont les ressorts sont tapis au cœur du quotidien. Chez lui, le mal ne ressemble pas aux tueurs en série des films d’horreur qu’il singe pourtant un peu avec son masque et sa tenue noire. Dans ses romans, le mal est d’autant plus terrifiant qu’il s’incarne dans des figures familières et familiales : un ami, un parent, un enfant…
Strange Houses, on l’aura compris, ne fonctionne donc pas aussi bien Strange pictures et sans doute faut-il commencer par ce dernier pour bien goûter l’univers macabre d’Ukestu.
Grégory Seyer