Iggy Pop -The Idiot : l’histoire de l’Iguane, racontée par Marc Besse

Depuis des années, la collection Discogonie balance des petits cailloux sur la piste du rock avec de chouettes monographies consacrées à des classiques du genre. Coup de projecteur ce mois-ci sur le livre Iggy Pop – The Idiot, signé Marc Besse.

The Idiot image

Auteur d’ouvrages sur Bashung, Noir Désir et Björk, Marc Besse dévoile dans une nouvelle parution très documentée les secrets de l’album The Idiot. Une oeuvre pas si solo que cela…En une centaine de pages, l’auteur relate la naissance du disque noir, superbe alchimie entre deux monstres sacrés du rock.Une collision magistrale. The Idiot demeure amha l’un des sommets de l’Iguane…Au passage, c’est aussi une autre merveille de Bowie qui marchait sur l’eau à l’époque… Leur amitié naquit lorsque les deux lascars se trouvaient sous la coupe du manager Tony Defries, le rusé par excellence. L’album Raw Power amorce ainsi une première collaboration un peu contrainte, puisque Bowie est appelé à la rescousse pour produire la bombe explosée dans un studio londonien. L’histoire ne fait alors que commencer.

Alors que Jimmy ne cesse de taquiner le chaos, dans une très mauvaise descente depuis le crash des Stooges, David embrasse les étoiles au gré de ses métamorphoses. Lors de la tournée Isolar en 76, le Thin White Duke met le feu sur scène, tandis que l’Iguane rode sans cesse dans les coulisses. La chanson Sister Midnight voit d’ailleurs le jour lors de ces concerts sous les cordes de Carlos AlomarThe Idiot vient donc de très loin… Au passage, les inséparables s’amusent beaucoup depuis l’épisode fameux de l’arrestation filmée de Rochester pour possession de marijuana (bigre… la drogue c’est mal !), avant de commencer un périple européen, jusqu’à la place rouge de Moscou avec son cortège de bonnes bouteilles et de jolies filles.

Marc Besse entre ensuite dans le vif du sujet avec l’évocation du château d’Hérouville, lorsque le duo prend sa résidence en mai dans cette belle demeure aristocratique. Longtemps, le mystère pesa sur les sessions de ce lieu mythique tenu par Laurent Thibault et toute son équipe. Et pour cause…Un brin maniaque du contrôle, Bowie exige du personnel du studio la signature d’un contrat afin de ne rien dévoiler des séances du château… jusqu’à sa mort, dixit Laurence Vanay, madame Thibault à l’époque, qui pourrait en raconter beaucoup d’autres d’ailleurs. Pas simple de débusquer la vérité, le Britannique ayant toujours pour habitude de verrouiller les portes. Et gare aux pas de travers ! Bowie éreinta méchamment Laurent Thibault quand le magazine Rock And Folk balança une info sur les séances du château. Ne jamais perdre le contrôle… Lorsque le journaliste Nick Kent tenta par exemple une biographie sur le Thin White Duke, ce dernier exigea d’emblée la modique somme d’un million de dollars, histoire de bien refroidir la curiosité du journaliste réputé pour trop fouiner.

L’ouvrage de Marc Besse permet ainsi de faire le point sur The Idiot, depuis que les langues se délient au fil du temps. Il repose sur les interviews de quelques protagonistes de l’affaire, en particulier Iggy Pop et Laurent Thibault, sans oublier une très solide bibliographie à l’appui. L’Iguane a laissé par ailleurs de bons souvenirs à Hérouville, préférant discuter des heures en bon camarade plutôt que d’infliger des caprices de diva à ses hôtes. L’information la plus essentielle concerne certainement le fameux Eventide Harmonizer HP 910 que le studio utilisait depuis des semaines avant même l’arrivée de Tony Visconti (en septembre), alors que ce dernier n’a pas cessé de se vanter de la découverte de ce magnifique « game changer » – très percutant sur la face A de Low –, avec ce son de batterie désormais passé à la postérité. Un petit contentieux parmi d’autres… Quand le producteur américain commença à régler des comptes avec l’équipe de Thibault par presse interposée, un coup de fil de Bowie exigea du château le silence, une bonne fois pour toutes.

Suivant la trame habituelle de la collection rouennaise, Marc Besse décortique ensuite les huit chansons de l’album, la partie la plus instructive de l’ouvrage. Encore une fois, c’est une somme bien foutue qui ramasse l’essentiel en quelques lignes. Dans le studio d’En Haut, Bowie engendre sa créature sonore, pendant que l’Iguane se lance dans l’écriture des lyrics. L’auteur reprend quelques secrets de la fabrique infernale, depuis un “accident” de console sur Sister Midnight aux overdubs en Allemagne, en passant par le cortège des musiciens à l’œuvre, en particulier le batteur Michel Santangeli qui batailla dur pour être enfin crédité. Marc Besse livre aussi son explication de textes bien allumés, Iggy étant alors en grande forme pour chanter sa poésie noire, dans l’une de ses performances les plus démentes. Au fil des lignes, on découvre surtout deux artistes se poussant sans cesse dans les cordes pour sortir le meilleur l’un de l’autre. Un exemple parmi d’autres ? L’écriture de Borderline, futur China Girl, quand les compères en improvisent la musique sur de drôles d’instruments pour enfants lors d’une nuit très alcoolisée.

Marc Besse consacre les dernières pages à l’épisode allemand, lorsque le duo s’installe au Musicland de Georgio Moroder pour finir leur album. Incontournable compagne, Corinne Schwab est du voyage, avec Laurent Thibault qui participe également à ces sessions nocturnes du mois d’août. Après Munich, l’affaire s’achèvera à Berlin pour le mixage final sous la patte de Tony Visconti, seulement sur certains titres d’ailleurs, laissant d’autres chansons en l’état du studio d’Hérouville. L’installation de Jimmy et David dans le quartier Schöneberg annonce aussi les albums de 1977, Lust For Life et “Heroes”. Au passage, Marc Besse garde bien la lumière sur The Idiot, longtemps resté dans l’ombre portée de Low, évoqué juste ce qu’il faut sans voler la vedette au disque noir.

Toujours dans la droite ligne de Discogonie, Marc Besse raconte ensuite l’épisode bien connu de la pochette avec l’Iguane shooté par Andy Kent dans une pose torturée, sur l’imitation du tableau expressionniste Roquairol, un jeu que Bowie ne manquera pas de reprendre avec “Heroes” sous l’objectif de Sukita. L’album des frères siamois du rock connait aussi une belle postérité, tant de nombreux artistes (Josh Homme, Siouxsie, Peter Murphy etc…) ont croqué la galette noire avec délice. Si China Girl connut la seconde vie que l’on sait, plusieurs autres chansons eurent droit à de multiples reprises et samples, avec une prime toute particulière pour Nightclubbing ou Funtime.

Avec une jolie plume bien inspirée, comme ce lumineux “Joy Division commence ici”, Marc Besse raconte la naissance d’une créature hybride, une tuerie désormais culte.

Amaury De Lauzanne

Essai de Marc Besse
Editeur : Discogonie
144 pages –  12,90 euros
Parution : septembre 2025

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