A l’affiche avec ses Woodentops dans l’édition 2025 du formidable Festival Outsiders, Rolo McGinty a bien voulu partager avec nous ses souvenirs. De l’Afrique aux éclats de rire des débuts des Woodentops dans un entrepôt londonien, il raconte la genèse d’un groupe qui n’a jamais cessé de croire à sa propre illusion partagée.
Rolo : Je suis ici à l’aéroport de Barcelone à 2 heures du matin, assis dans ce fichu magasin Go Natural qui vient de me faire payer une somme délirante pour une bière et un paquet de chips. Petite bière, petit paquet… presque 8 euros. J’attends ici jusqu’à 6h30. J’ai pensé que ce serait un bon moment pour répondre à tes questions : j’aime bien les aéroports, en fait. Mes parents vivent ici, ils sont très âgés maintenant, et je viens passer deux semaines pour m’occuper un peu d’eux. Promener le chien, cuisiner, faire les courses, tondre la pelouse… juste des trucs comme ça.
J’ai dû prendre un vol tardif. Atterrissage super fluide, très impressionnant – et j’aime voler, d’ailleurs j’ai déjà piloté un avion moi-même. Pas officiellement, sans formation ni licence, juste un petit avion, avec quelques conseils rapides sur quoi faire. J’ai 3 heures d’expérience de vol au-dessus du désert du Kalahari, au Botswana. Depuis Harare au Zimbabwe, et retour quelques semaines plus tard. Pas très haut, je pouvais voir les éléphants, les impalas, les hyènes et la terre rouge d’Afrique. Je crois que ça reste une des plus grandes expériences de ma vie ! Mon temps en Afrique surpasse même le moment où David Bowie m’a dit qu’il possédait tous mes disques, où il dansait sur le côté de la scène, me souriait avec un pouce levé – quel type incroyable ! Mais bordel, le pilote qui m’a laissé les commandes de ce petit avion en Afrique, ça, c’était un braingasm ! Et il y a eu plus encore : un jour, dans le delta de l’Okavango, c’était d’une beauté incroyable, complètement détente, dans une pirogue taillée dans un tronc d’arbre, un makoro. L’eau était si claire qu’on voyait l’herbe et les nénuphars au fond. De temps à autre, un éléphant se baignait tout près, pas de quoi avoir peur. Les éléphants sont vraiment noirs et leurs défenses blanches quand ils sont propres, pas gris du tout. J’ai eu un petit moment magique : j’enregistrais les sons naturels, comme le doux frottement des roseaux sous la coque en bois du bateau. Ma main traînait dans l’eau, de jeunes caïmans dérivaient sans chercher à croquer mes doigts. J’ai dit à mon compagnon de voyage : Je pourrais mourir maintenant. Si je le faisais, la vie a déjà été assez incroyable. Un autre jour, une hyène m’a reniflé le visage à deux centimètres de mon nez. Ça puait la sueur et la terre. Elle aurait pu m’arracher la gueule, mais comme on était dans une jeep décapotée, on sentait le diesel et pas la nourriture. La hyène et moi, on se regardait droit dans les yeux. Je n’avais pas peur du tout, juste complètement émerveillé : oh wow, oh wow !
J’adore la musique africaine, j’adore les gens que j’ai rencontrés. D’ailleurs, je viens de passer du bon temps avec Aunty Rayzor et sa DJ Catu Diosis – Aunty est rappeuse au Nigeria, Catu DJ en Ouganda. Je trouve qu’elle ressemble à Grace Jones. Elles n’en revenaient pas que je connaisse personnellement Fela Kuti, R.I.P. Un de mes héros, que j’ai rencontré via un ingénieur-producteur basé à Paris, Sodi. Je veux tellement retourner en Afrique !
« Benzine »? Super nom !!!
Benzine : Merci ! En repensant aux débuts des Woodentops, qu’est-ce qui te revient le plus vivement de cette période où le groupe émergeait au milieu des années 80 ?
Rolo : Vraiment, énormément de rires. J’étais un bon bassiste, mais être chanteur principal et jouer de l’acoustique en même temps ? Totalement nouveau pour moi – donc comédie assurée ! Alice savait à peine jouer du Casio que j’avais acheté, encore plus de rigolade. Paul, le batteur original, avait un super sens de l’humour, Simon n’était pas mal non plus. On n’avait pas encore trouvé Frank De Freitas. J’avais quelques chansons, et j’utilisais soit une chaîne hi-fi et un lecteur cassette, soit un portastudio pour faire des démos. J’avais appris à bricoler des morceaux et à chanter mes conneries dessus. Mais j’aimais mieux la façon dont Simon jouait mes parties de guitare que la mienne. J’écrivais tout un peu à la manière de Prince, mais bien sûr, très loin de son niveau ! Ce qui était incroyable, c’est que pendant toutes les années 80, nous avions une salle dans un entrepôt rempli d’artistes. Plus tard, cette salle est devenue exclusivement la nôtre. On était proches d’un endroit appelé les Tea Rooms des artistes. Comme on était plutôt affamés et fauchés, ils ont été bons avec nous. Ils nous ont un peu gardés en vie. Tu vois le truc : le monde était de notre côté. Franchement, chacun dans le groupe était tellement charmant, drôle et beau. On avait à peine 20 ans. Malgré les chansons qui parfois s’écroulaient et les éclats de rire, on y croyait tous. Comme une illusion partagée.
Notre tout premier concert ? Un Battle of the Bands. On a fini deuxièmes – les premiers étant le groupe qui avait organisé le concours, donc c’était truqué, haha. Mais on a vu que Move Me et Good Thing fonctionnaient : tout le monde dansait, comme nous dans la salle de répète. Dans cette salle, tout devenait des versions 12 pouces ! Même si on n’avait jamais sorti de disque, on rallongeait les morceaux en les jammant. Tu sais, chanter et jouer en même temps, ça demande énormément de pratique. Les autres gens dans l’immeuble étaient très cool avec ça : parfois on entrait et on jouait le même morceau toute la journée. C’était encore une époque où tu pouvais squatter, ou trouver des entrepôts vides pas chers. Ce climat n’existe plus du tout à Londres aujourd’hui. Tout est construit, appartements et bureaux. Plus vraiment d’endroits où tu peux bricoler une vie à peu de frais. Et c’était encore l’époque Thatcher !
Du coup, comme on avait passé des mois – comme un boulot à plein temps – à bosser les chansons et la musique avant de sortir en public, on a débarqué de nulle part, avec un son distinct et assez cohérent. Mais j’avais quand même deux personnes sérieuses qui me surveillaient. Deux longues histoires, deux personnages : Seb Shelton, le batteur de Dexys (un super batteur d’ailleurs), et Bill Drummond, manager de groupes à Liverpool et futur gars de KLF. Ces deux-là, je voulais absolument les impressionner, parce qu’ils avaient été si aidants. Je voulais qu’ils voient des résultats en termes de qualité. L’idée de la célébrité, ce n’était pas vraiment ça. On voulait surtout que notre musique soit serrée, originale et qu’on s’amuse. L’idée des hits et tout ça, on leur laissait ! Bill a été le premier à investir de l’argent dans nous, et Seb est devenu notre manager de 1983 à 1993.
Au début des années 80, quelques bassistes sont passés puis Frank de Freitas est arrivé. Il avait 19 ans à l’époque – plus maintenant ! Mais on était une vraie bande de potes. Cette bande a reçu ce drôle de nom : The Woodentops, un anti-nom parce qu’on n’était pas ambitieux, on pensait que ça durerait un an. Mais comme ça a continué, on s’aimait encore plus et c’était la chose la plus fun au monde d’être dans ce groupe. Peu importe les heures de van ou le travail acharné en répète, c’était du pur plaisir. Nos héros, c’étaient Fela Kuti, Suicide, Syd Barrett, James Brown, Kraftwerk et Can. Il y en avait beaucoup d’autres, mais ce sont les principaux.
Benzine : Giant reste un album culte pour de nombreux fans. Quel regard portes-tu aujourd’hui sur ce disque, et quelle place tient-il dans ton parcours artistique ?
Rolo : Euh, je l’adore profondément. J’aimerais qu’il y ait un peu plus de basses dessus, mais il a été mixé pour la radio. Nous avions déjà enregistré quatre singles à l’époque. L’enregistrement de Giant a parfois été une véritable guerre entre moi et le producteur – pas toujours, il était excellent, il était là pour transformer notre potentiel de « tubes » en réalité. Donc, mixé pour la radio. Tout ce que je peux dire, c’est que les mixages bruts, ceux qu’on faisait au moment des prises, sonnaient puissants, musicaux, avec des voix cool. On rentrait avec des cassettes, on sautait partout en les écoutant. C’était parfait. Mais ensuite, on a été un peu choqués – surtout moi – quand je n’ai pas été invité aux sessions de mixage.
Je veux dire, j’avais moi-même déjà verrouillé des producteurs hors du studio : « OK, vous vous occupez de la face A, mais éloignez-vous des faces B, elles sont à nous ! ». Mais là, c’était moi qu’on tenait à l’écart. Du coup, Giant est sorti avec, dans mon esprit, un son vraiment commercial. Deux choses : d’abord, ça nous a donné une cible – ça sonnait mieux que ce qu’on faisait réellement. Avec toutes ces tentatives de prises, on avait utilisé une boîte à rythmes pour garder ça serré, une LinnDrum, version 1 ! C’était une tentative du producteur Bob Sargeant de faire un album parfait. Et je pense qu’il y est parvenu. On l’a complètement dynamité plus tard avec Hypnobeat Live, haha – on a remis la folie dedans.
Quand on a compilé le coffret 3 CD Before During After, j’ai remis le sub-bass dans les masters originaux. Plus besoin de sauter hors des radios, juste sonner plein. Le son radio était un peu mince – un art en soi. Quincy Jones, par exemple, y parvenait : il faisait tout sonner énorme, puis mixait sur un petit haut-parleur façon radio, pour que ça marche parfaitement à l’antenne. Nous, on visait les classements indés… et d’un coup, on s’est retrouvés dans les charts officiels avec Good Thing. Giant est monté dans le Top 30 et, honnêtement, aurait été Top 10, voire mieux, sans un abruti de l’industrie musicale (ne demande pas de t’en parler !).
Mais, pour être honnête, si nous avions eu un énorme album à succès et des singles dans le Top 10, je serais probablement devenu un de ces mecs morts à 27 ans. Pas question ! Quel gâchis. Merde, je n’aurais jamais piloté cet avion au-dessus du Kalahari ! J’aime la vie telle qu’elle est.
« Dans mon parcours artistique », d’abord ça voulait dire que toutes ces chansons étaient faites ! Et que désormais, il fallait éviter de réécrire toujours la même. Donc tout ce qu’on avait, y compris quelques morceaux écrits pendant les sessions de Giant, était enregistré. Ensuite, on a tourné non-stop pendant un an, beaucoup en France – on adorait jouer en Europe. Je dirais qu’on a beaucoup grandi en France et en Allemagne. Quand on est revenus au Royaume-Uni, on était un autre groupe. Les gens n’en revenaient pas : les voix étaient justes, on jouait plus dur, plus vite, avec plus de maîtrise. On grandissait en public.
Benzine : Au fil des années, la musique des Woodentops a été décrite comme oscillant entre la pop indie jangly, des rythmes expérimentaux et même des influences électroniques. Considères-tu cette diversité comme une évolution naturelle, ou comme une expérimentation délibérée ?
Rolo : Il y a deux aspects. Le premier, c’est l’influence électronique : parce que moi, nous, on était au bon endroit au bon moment pour voir arriver ces nouveaux instruments et ces nouvelles machines. Donc je les ai appris très tôt. J’ai écrit beaucoup de morceaux des Woodentops au début de manière électronique, avec le matériel simple qu’on avait sous la main. Puis, comme on n’avait pas d’argent, on a appris à les rejouer sur des guitares achetées dans des magasins de seconde main. Voilà le vrai secret. Toutes ces parties, ce sont souvent des séquences. Et ensuite on les jouait à la main, comme des clowns, haha.
Le deuxième aspect, c’est le naturel. J’écris énormément, et je balance beaucoup de choses. Je ne garde que ce que j’aime vraiment. À ce stade, je suis hyper critique. Et évidemment, ce qu’on a déjà enregistré influence la suite : « Ok, ça, on ne peut pas le refaire, alors passons à autre chose ! »
Benzine : Tes paroles mélangent souvent romantisme, observations du quotidien et émerveillement. Où trouves-tu généralement ton inspiration quand tu écris ?
Rolo : Oh, génial, ta question contient déjà la réponse ! Oui, tout ça. Je ne suis pas un inventeur de langage – j’aimerais bien !! J’étais trop plongé dans la musique à l’école pour me concentrer sur autre chose. Donc je suis surtout un auteur de mes propres expériences. Mes mots sont assez conversationnels. Le rythme et le flux comptent beaucoup aussi.
Je dirais encore une fois que je jette énormément de choses. Parfois, j’aime écrire quelque chose de complètement simple, genre trois ou quatre lignes pour toute la chanson. D’autres fois, c’est blindé de mots – comme mes réponses d’interview ici.
(A suivre)
Propos recueillis par Eric Debarnot
Photo live format vertical : Geoff Smith
Les Woodentops joueront à Paris le 7 octobre prochain, au Supersonic Records, dans le cadre du Festival OUTSIDERS.
super ton interview, vivement la suite. Du coup, je vais me remettre « Giant » dans les esgourdes, un album culte et irrésistible, au son absolument unique