Entre EELS en sourdine et rétro-soul en clair, Young Love des BOO BOOS choisit la conversation plutôt que le manifeste : dialogues de couple, slogans intimes, tendresse qui vise juste.

BOO BOOS, qu’est-ce que c’est ? Si on vous répond, c’est un duo formé par Bronco Boo et Katie Boo, vous ne serez pas plus avancés. Si on vous explique que derrière ces pseudos un peu « neuneus », se dissimulent (pas vraiment) E (Mark Oliver Everett), de EELS, le grand artisan US des bleus à l’âme, et Kate Mattison, la frontwoman du groupe de Brooklyn, 79.5), vous comprendrez un peu mieux de quoi il s’agit : That’s Not A Thing, l’ouverture de Young Love, l’album de ce duo tout frais formé, ne cache d’ailleurs pas ce qui est au programme, puisque ça commence comme une chanson extraite d’à peu près n’importe quel disque de EELS, par une belle mélodie un tantinet déprimante et la voix grave d’un E toujours aussi cabossé… jusqu’à ce que l’irruption de la voix chaleureuse et « pleine de soul » de Kate n’intervienne, et ajoute donc un grand sourire à tout ça.
C’mon Baby, le premier single et troisième titre de l’album, nous offre cependant une perspective différente : on pense alors aux duos « middle of the road » des 70’s, à un soft-rock qui se serait réduit aux dimensions d’un salon intime où batifole un petit couple amoureux. Tout l’album oscillera ainsi entre ces deux atmosphères, avec de temps en temps des sonorités « country » qui le positionnent clairement comme un mini-classique de la chanson américaine (de la « variété américaine » ?), et non pas comme une nouvelle création « indie rock ». « I’m one part country, and two parts retro-soul », c’est le programme explicité clairement dans la chanson feelgood et décomplexée – presque rétro – qu’est Boo Boo Time !
Ce qui, d’ailleurs correspond tout à fait à ce que le disque raconte. Car, si on ne sait pas si Katie et Mark sont réellement « ensemble » et vivent leur « Jeune amour », chacune des chansons, ou presque, parle de la vie d’un couple, avec une sincérité et une simplicité que les cyniques trouveront assez superficielles, mais que l’on peut aussi juger spontanées et touchantes.
That’s Not a Thing est un dialogue entre deux amants – reproches gentillets, clins d’œil, volonté de compromis – qui montre ce qui fait la réussite du projet, et là on parle aussi bien d’un couple que de cet album : l’alchimie entre les deux partenaires. Et nous rappelle que la « bonne pop classique », c’est souvent du théâtre (parfois de boulevard…) en tranches de moins de trois minutes. « We’ll rise to the challenges / Each new day brings / ‘Cause you and I going separate ways / Well, that’s not a thing » (Nous relèverons les défis / que chaque nouveau jour apporte / Parce que pour toi et moi, prendre des chemins différents / Eh bien, ça ne peut pas arriver).
Il s’agit en fait de parler “dans” le couple, non pas “du” couple : on est au milieu de conversations entre deux personnes qui s’aiment et tentent de fonctionner ensemble, il n’y a pas ici de surplomb, de recul. Les chansons alignent et répètent des slogans intimes plutôt que du storytelling classique. Avec un soupçon d’humour et d’auto-dérision pour éviter que tout ce sucre ne nous agace les dents. The Toughest Bitch I Know – titre bravache cachant un cœur tendre – joue la carte ludique : « You’re so pretty / You’re so aglow / But when pushing gets to shovin’ / You’re the toughest bitch I know / Your words not mine » (Tu es si jolie / Tu es si rayonnante / Mais quand on se pousse, on se bouscule / Tu es la garce la plus dure que je connaisse / C’est toi qui le dit, pas moi).
Bon, tout n’est pas aussi gentil, on ne se fait pas que des câlins réconfortants sur ce Young Love. Total Thunder déploie une jolie énergie, tandis qu’un titre comme Strange Morning détonne même un peu par son format plus ambitieux, et que la conclusion – pas loin d’être bouleversante – de Nightly Content retrouve la tristesse et la profondeur des grands chansons de EELS.
On peut évidemment trouver Young Love trop confortable. E s’éloigne assez peu de ce qu’il fait chez EELS. Pire peut-être, s’il a maintes fois prouvé qu’il pouvait être vraiment méchant, ici il nous caresse (dans le sens du poil…). BOO BOOS refusent le pathos et choisissent la tendresse. Le couple n’a pas réalisé un album sombre, l’heure n’était pas à la musique « rugueuse », mais aux arrangements policés. Mais pourquoi s’en plaindre ? Sur la grande majorité des 12 titres alignés en 36 minutes, ça fonctionne parfaitement. On pourra donc chipoter sur l’absence de prise de risques, mais on doit reconnaître l’adresse avec laquelle Young Love vise notre cœur.
Eric Debarnot
très bon choix pour moi