Les hyperactifs Geese reviennent avec Getting Killed, un 3ème album où ils confirment les espoirs placés sur eux à leurs débuts, et momentanément déçus avec l’inégal 3D Country, leur précédente livraison. Sur une ligne de crête entre génie et gadin, il semble que Geese aient finalement décidé de regarder du bon côté.

Déjà le troisième album pour Geese, après la décharge électrique de Projector en 2021, qui les avait positionnés en bonne place des grands espoirs du rock. La suite avait un peu déçu (…mais était restée intéressante), avec un deuxième album, 3D Country, qui témoignait d’une capacité intacte à créer un chaos organisé, toujours entre post-punk, garage, folk, blues, mais en tentant – déjà – de se renouveler, mais mais qui avait du mal à tenir la distance. En outre, son chanteur, guitariste, clavier, et leader, Cameron Winter (23 ans aujourd’hui) se permettait de balancer un premier album solo fin 2024, Heavy Mental, qui a eu, à raison, beaucoup d’écho, jusqu’à recevoir l’adoubement public de Nick Cave, qui a la louange rare.
Ayant retrouvé ses acolytes, (Max Bassin (batterie, percussions), Dominic Digesu (basse) et Emily Green (guitare), mais pas le second guitariste, Foster Hudson, qui a quitté le navire en 2023, Winter livre aujourd’hui Getting Killed, troisième effort long format dont on sait peu de choses. Le groupe d’origine new yorkaise l’a enregistré en studio, mais à Los Angeles, « après avoir été approché par Kenneth Blume lors d’un festival de musique (…), en dix jours seulement » selon le très court texte de présentation de sa maison de disques, qui se conclut néanmoins, de manière assez lyrique, par la phrase : « avec Getting Killed, Geese équilibre une nouvelle tendresse désarmante avec une colère intensifiée, semblant troquer son amour du rock classique contre un mépris pour la musique elle-même. »
Bien. Voyons tout cela dans le détail…
Dès Trinidad, le ton est donné : rythmique lourde, cuivres imprévisibles, sur lesquels plane la voix de Winter, de plus en plus habité, comme hanté… On ne devrait pas rigoler tout au long de ce troisième essai. Pour autant, Cobra, qui suit, étonne, avec un registre déjà différent : c’est une forme de ballade déstructurée, à la mélodie pas ultra originale mais efficace, et avec une montée appréciable. Le changement de pied est permanent chez Geese, et cet album ne dérogera pas à la règle : ils sont là pour concasser les genres et l’auditeur, le faisant passer sous un rouleau-compresseur sonore inédit, où nos repères vacillent. Husbands, au titre cassavetien en diable, reste dans ce registre doucereux, propre à s’emballer à la première occasion, sur un riff « intranquille » mais agréable, la voix de Winter s’envolant à nouveau de manière appréciable sur un texte incongru, où il raconte que sa solitude a disparu, et qu’il a « un cheval sur son dos » (« There’s a horse on my back / And I may be stomped flat / But my loneliness is gone »). On ne comprend pas nécessairement la métaphore, comme sur beaucoup des textes du talentueux jeune homme, mais ça interpelle.
Getting Killed, la chanson titre, commence dans un bouillonnement porté par la batterie et les chœurs limite gospel (ukrainiens, indique la notule de présentation) : surprise encore ! Winter crache un autre texte inquiet et rempli encore de métaphores bizarres, sa voix monte dans les aigus. Bientôt, c’est un formidable raout rock’n’roll, et l’on n’est plus très loin de certains morceaux des dernières années de Nick Cave (on y revient !). Les six minutes de Island of Men concluent ensuite la face A, ballade torturée avec sa basse limite funky au chant encore une fois envoûté, le tout complètement arrêté à mi parcours par un break improbable, donnant à la chanson des allures de jam session, comme si Geese était passé dans une faille de l’espace-temps, et s’était métamorphosé en version post-moderne de Can.
100 Horses ouvre la face B de manière quasi symétrique avec une chanson à la rythmique lourde, aux cuivres seyants, et à la voix hantée de Winter… nous renvoyant au début de cette chronique ! Bon, il y a bien aussi un piano léger, une évidence mélodique plus imposante, qui donne au final plutôt le sentiment d’être plus dans une spirale musicale ascendante que dans la répétition stricte de la « recette » de la face A. Et cette face B va tenir toutes ses promesses, avec les meilleures chansons de l’album : après le single 100 Horses, aux influences multiples, la ballade intense Half Real, où le chanteur est à nouveau remarquablement épaulé par de légers chœurs et un piano de bastringue, même s’il mâche un peu ce qu’il chante (le personnage ayant manifestement un cerveau malade comme dans beaucoup de ses chansons). Le tout a des faux airs de chanson oubliée de 16 Horsepower… Au Pays du Cocaine (sic), simple et agréable ballade (où coulent piano, violons) remet un peu de douceur dans ce flot de sons intenses et vivants, des chœurs accompagnant encore le chanteur dans sa péroraison (« You can change, you can change / You can change and still choose me »). Comment ne pas être marqué enfin par Taxes, improbable cri antifiscal à on-ne-sait-quel-degré (et faudrait savoir : « If you want me to pay my taxes / You’d better come over with a crucifix / You’re gonna have to nail me down » – Si tu veux que je paie mes impôts / Tu ferais mieux de venir avec un crucifix / Tu vas devoir me clouer au sol). Musicalement, ce deuxième single extrait de l’album, est le seul vraiment évident avec son riff accrocheur qui en impose.
Puisque toutes les choses ont une fin, même les meilleures, arrive donc la conclusion de l’album. Suite et fin du contrepied permanent avec Bow Down, qui semble plus anecdotique, façon ska punk perverti aux influences hispanisantes, mais qui aura ses fans. Et Geese de refermer la face B et son 3ème ouvrage avec une chanson de six minutes, comme sur la face A, Long City Here I come. Emballée par les percussions, celle-ci ne conclut pas n’importe comment les choses, avec sa rythmique débraillée, son influence Talking Heads bien digérée (comme sur d’autres chansons), Un véritable bouquet final !
A l’arrivée, on n’est pas très sûrs de ce que l’on a écouté et de ce que l’on en pense, comme toujours avec Geese. On le réécoute, encore et encore, et l’on se dit quand même que ce n’est pas donné à tous les albums. On essaye de le disséquer, on n’y arrive pas vraiment, c’est toujours intense, souvent furieux, il y a toujours cette lumière issue du chaos, et la voix de Winter qui nous sidère et nous interpelle, lui qui est trop jeune pour être vraiment si fou. Une question s’impose, finalement, au milieu de tous les kilomètres de musique streamée que l’on s’enfile toute l’année : et si nous étions, simplement, face à un grand disque ?
Jérôme Barbarossa
Geese – Getting Killed
Label : Partisan Records
Date de sortie : 26 septembre 2025
Geese seront en concert à Paris (la Cigale), le 7 mars 2026.
Cameron Winter sera en concert solo le 3 décembre 2025, également à Paris, au Cabaret Sauvage.