« Le Bonheur, » de Paul Kawczak : Une histoire de sacrifices parée de trop d’artifices

Entre conte noir, mémoire de l’Occupation et réalisme magique, le nouveau roman de Paul Kawczak séduit par son écriture et son intensité avant de se perdre dans une seconde partie trop démonstrative.

Paul Kawczak 2025
© Patrick Simard

En 1942, trois enfants juifs sont pourchassés par un officier nazi patibulaire, gueule (fra)cassée de la Première guerre. Ils sont cachés par Madame Beugnot, épicière et résistante, dans une grotte située sous les ruines du château de Montfaucon, près de Besançon.
Il se dit que les lieux sont squattés par le Diable, mais ce dernier rôde surtout à l’extérieur, en la personne du SS-Sturmbannführer Peter Pannus.
Le récit n’est pas linéaire. Il ondule entre un conte avec un ogre à croix gammée, le rappel historique d’une période noire où les autorités françaises ont livré des enfants juifs aux allemands et des passages empreints de surnaturel.

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J’ai d’abord été convaincu par la structuration du récit. J’y ai retrouvé les qualités du premier roman de Paul Kawczak, ténèbres, croisière hostile dans le Congo Belge avec Joseph Conrad à la barre et un géomètre amateur de tatouages. Ici encore, la langue est belle, recherchée, le propos historique se veut très engagé et la touche fantastique gratte le fond de l’âme humaine.
Le cloisonnement dans la grotte et les jeux d’enfants sont propices à l’altération du temps et de la frontière entre le réel et l’imaginaire. L’innocence des enfants fait face à l’aura malfaisante du SS sans tomber dans la niaiserie. du réalisme magique en Franche-Comté, il fallait y penser.

J’ai été moins convaincu par la petite ménagerie à la Chantal Goya, le chien Foie de veau, Pinou lapin et un âne au regard triste qui accompagnent et protègent les enfants. Il ne manque que Pandi Panda.
Un chapitre terrible, certainement le seul souvenir que je conserverai de ce roman d’ici quelques mois, est constitué d’une vingtaine de pages listant tous les convois de personnes juives déportées en 1942 vers les camps de concentration depuis la France. L’ambition est mémorielle mais l’énumération souligne par sa froideur administrative le caractère industriel des rafles et des déportations. La lecture est difficile. Il n’y a pas un nom. Que des chiffres.

L’autre réussite du roman réside dans la découverte (pour moi) de l’histoire de Besançon pendant l’Occupation. L’auteur, expatrié au Canada est natif de Franche-Comté. On sent l’attachement à ce territoire.
Si le roman s’était arrêté au dénouement de l’histoire des enfants, mon retour aurait été dithyrambique. Derrière ce conte d’enfants pour adultes se dégage une vraie réflexion autour du sacrifice, de la solidarité et de la fragilité de la vie.

Mais patatras, une seconde partie, que l’auteur qualifie lui-même d’optionnelle, propose d’approfondir la lecture avec d’emblée une description des travaux de Wilhem Reich, un psychiatre, freudien déchu, à l’origine de la théorie de l’Orgone, concept déjanté d’une énergie ésotérique qui aurait influencé l’officier nazi du roman, Pannus le trépané. Ravi de l’apprendre… sauf qu’il aurait été bien plus intéressant d’intégrer cette folie dans le récit, de donner ainsi du sens aux agissement de l’officier nazi. J’ai eu l’impression d’assister à un « … Au fait, j’ai oublié de vous dire ! ». Il est évident que la démarche est volontaire. Elle rate sa cible selon moi.

L’auteur aggrave son cas avec une synthèse digne d’une intelligence artificielle du très beau livre de Christophe Boltanski, La Traque.
Et pour conclure, une démonstration philosophique existentielle totalement absconse et inutile d’un personnage survivant.
Cette deuxième partie se veut avant-gardiste, une expérience esthétique. Elle gâche une très belle histoire qui n’avait pas besoin de sous-titres.
L’auteur voulait cacher un essai dans son roman. Pourquoi révéler sa cachette ?
À lire… jusqu’à la page 277 !

Olivier de Bouty

Le bonheur
Roman de Paul Kawczak
Éditeur ‏ :‎ La Peuplade
384 pages – 23,00€
Date de parution : 14 août 2025

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