[Interview] Malcolm Middleton : “Transformer le malheur en petites chansons”

À la veille de son passage parisien dans le Festival Outsiders, Malcolm Middleton revient sur la “signature” de ses albums solos, détaille son va-et-vient avec Arab Strap, son goût pour la simplicité, et cette distance qui, avec l’âge, redéfinit l’intime.

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Photo : JP.Wright

Benzine : Avec le recul, qu’entends-tu aujourd’hui comme la « signature » définissant tes disques solo, et qu’est-ce qui a le plus changé dans ton écriture / ta production depuis les débuts ?

Malcolm : C’est difficile de répondre, mais j’imagine que ça a été un canal pour exprimer ma tristesse. Transformer la dépression et le malheur en petites chansons plus faciles à partager, et rendues un peu plus digestes. J’imagine que je peux me plaindre en m’accompagnant à la guitare acoustique, et que certaines personnes apprécient ça ?

Benzine : Lorsqu’une idée apparaît, qu’est-ce qui te dit « ceci est pour Malcolm en solo » plutôt que pour Arab Strap — du point de vue des paroles, du tempo, de l’instrumentation ?

Malcolm : C’est généralement assez clair puisque je ne fais pas les paroles pour Arab Strap ! Et les morceaux d’Arab Strap ont une certaine sensation. D’habitude, pour les chansons solo, j’utilise ma voix et ma guitare/mon piano en même temps, donc les deux arrivent simultanément. De nos jours, avec Arab Strap, je vais me concentrer sur l’écriture d’une partie spécifique, pour qu’il n’y ait pas de confusion. Tout est assez simple, et je ne pense pas avoir jamais mis par erreur un bout d’Arab Strap dans une de mes chansons solo. Ha, pas encore !

Benzine : Commences-tu à partir d’un motif guitare/voix ou d’un lit rythmique ? À quel stade les textures (pédales, synthés, boîtes à rythmes) entrent-elles en jeu ?

MM jacketMalcolm : La plupart des chansons commencent avec guitare et chant, mais parfois je dévie et je commence à chanter par-dessus des beats. Ou si je trouve de jolis accords, je fouille mes carnets pour les mots qui conviennent. Puis je passe un temps infini à essayer de les faire rentrer dans la chanson. Un progrès que j’ai fait ces dernières années, c’est de développer mes capacités à m’auto-éditer. Là où je pensais qu’il y avait une sorte de poésie, de signification dans n’importe quels mots apparus au départ, maintenant je reviens et je répare des choses et j’essaie de les améliorer.

Benzine : On t’associe souvent à une lucidité acérée et à un sens de l’humour discret. Comment équilibres-tu confession, fiction et distance ironique dans tes paroles aujourd’hui ?

Malcolm : Hmm. Je viens d’écrire un nouvel album donc j’ai pensé à ça récemment. La distance est importante. L’an dernier et l’année d’avant, je gérais beaucoup de choses, donc j’ai beaucoup écrit, de manière brute et personnelle. Puis j’oublie, pour retomber dessus plus tard quand je suis de nouveau en train de « fouiller mes carnets » pour trouver des paroles. Je vois s’il y a quelque chose qui fasse sens et qui soit personnel que je puisse utiliser, et qui corresponde à l’humeur de la musique. Une fois la chanson écrite, il y a alors de la distance par rapport à la personne / au moment où les mots ont été écrits, donc je n’y pense pas trop… En fait, je dois y penser à un certain niveau, mais à ce stade, si je suis content de la chanson, je dois juste l’apprécier, et ne pas m’inquiéter de ce que les autres en pensent, ou si c’est trop personnel, etc. Et puis je suis dans ma position actuelle où maintenant je dois aller chanter ces nouvelles chansons aux gens et je me dis, waouh, cette chanson est un peu lourde, peut-être que je ne devrais pas ? Mais si elle a une certaine valeur (encore une autre discussion !), alors bien sûr, ça vaut la peine de la partager. C’est une autre chose que l’on se demande en vieillissant : qu’est-ce qui fait qu’une chanson est digne d’être chantée, ou fait sens ? Est-ce dicté par l’auteur ou par l’auditeur ? Je ne sais pas. Quant à la fiction, je n’ai pas encore essayé. Peut-être que je devrais.

Benzine : Qu’est-ce que le projet Human Don’t Be Angry t’a permis d’explorer que tu ne signerais pas comme « Malcolm Middleton » ? Des projets pour y revenir ?

Malcolm : Ça a ravivé mon amour de grattouiller à la guitare. Le plan original était d’être vraiment obtus et ambient, puisque je fais beaucoup ça à la maison. Mais quand j’ai commencé à faire des concerts, ça a changé, car j’avais l’impression que je torturais les gens et que j’étais prétentieux. Donc j’ai repensé la chose et j’ai commencé à faire plus de mélodies, etc. Je ferai définitivement d’autres albums. Le moment doit juste être le bon. Je n’ai pas fait d’album HDBA complètement instrumental, donc avec un peu de chance ce sera le prochain.

Benzine : Ton son de guitare est très identifiable. Quelles sont tes obsessions actuelles (accordages, pédales, amplis), et comment traduis-tu sur scène des arrangements studio denses ?

Malcolm : Je ne sais toujours pas ce que je fais. Mais je suis meilleur quand je ne sais pas ce que je fais ! Je suis assez paresseux avec les pédales et les amplis, et je ne suis pas vraiment un mordu de technologie. J’aime un gros son clair sur ma guitare Gretsch et mon ampli Fender Blues Deluxe, mais ensuite mon « jump » penchera toujours vers mes racines metal. Et des delays type Space Echo pour rendre le moment présent nostalgique ;) Lol.

Benzine : Avec Aidan Moffat, comment vous répartissez-vous les rôles aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé dans l’écriture / les arrangements en co-écriture par rapport aux premières années ?

Malcolm : C’est encore à peu près la même chose. Il fait les mots et je fais les mélodies. La différence, c’est que nous pouvons tous les deux enregistrer correctement depuis chez nous, et nous envoyer des choses. Nous travaillons sur notre prochain album en ce moment, et c’est le stade excitant où nous nous surprenons chaque jour avec de la nouvelle musique.

Benzine : Arab Strap mêle depuis longtemps folk, post-rock, électronique, pulsations plus lourdes. Comment décides-tu de la « température » d’un morceau ou d’un album, et quelle est ta part dans ces choix de texture ou de dynamique ?

Malcolm : Je laisse généralement Aidan décider, puisqu’il réagit à ce que je lui envoie. Ce qui peut être étrange. Parfois je lui envoie des trucs lourds, et il veut que ce soit ralenti, ou inversement, j’envoie une chose acoustique tranquille, et il l’entend comme une chanson rock. Nous ne discutons jamais de la musique, mais tout semble s’arranger. Nous ne sommes pas des musiciens « propres », donc nous n’avons pas de langage musical. On invente au fur et à mesure et c’est généralement ok. À part une ou deux catastrophes que personne n’a besoin d’entendre, jamais…

Benzine : À quoi doit s’attendre Paris la semaine prochaine — line-up, équilibre entre chansons récentes et « historiques », des relectures ? Y a-t-il une chanson que tu as particulièrement envie de jouer ici ?

Malcolm : Je jouerai avec guitare, batterie, contrebasse et piano. Avec des gars avec qui je joue depuis des années. Ils étaient sur mon dernier LP Bananas en 2018, et sont aussi dans la formation live d’Arab Strap. Je ferai beaucoup de vieilles chansons et quelques nouvelles. Je n’ai pas joué en solo depuis 6 ans, donc c’est excitant et stressant. Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles je n’ai pas joué pendant si longtemps, mais je me concentre sur les bonnes choses. Essayer de profiter et d’apprécier les vieilles chansons, tout en préparant des bouts pour les nouvelles chansons pour que nous puissions enregistrer bientôt. Avec un peu de chance, tout tournera autour du confort, de la mélodie et du partage. Il y a deux nouvelles chansons que j’apprécie vraiment, Think About Death et Love At 13th Sight. Très amusantes à jouer. Et très déprimantes ! ;)

Benzine : La suite : un disque solo, des sessions Arab Strap, du travail pour le cinéma — ou un virage totalement différent ?

Malcolm : Je travaille sur un album solo, mais je finirai ça après le prochain album des Strap. Nous l’enregistrerons début 2026. Je suis positif à propos de tout ça. J’ai apprécié de revisiter mes chansons solo après si longtemps. Et je pense que j’ai de bonnes nouvelles chansons. J’adore Arab Strap mais je ne peux pas m’exprimer pleinement à moins d’écrire aussi des mots. Donc c’est génial que je puisse avoir les deux choses, j’ai de la chance !

Propos recueillis par Eric Debarnot

Outsiders 2025Malcolm Middleton jouera à Paris le 9 octobre prochain, au Supersonic Records, dans le cadre du Festival OUTSIDERS.

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