« Kontinental ‘25 » de Radu Jude : Remords et regrets

Avec Kontinental ‘25, Radu Jude évoque au travers d’un sans-abri et d’une huissière de justice les rapports présents entre les sociétés roumaines et hongroises. Un projet tourné en quatrième vitesse et s’épuisant un peu sur la longueur mais porté par le talent de satiriste du Roumain.

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Certains cinéphiles vont voir non sans délectation le nouveau film de leur cinéaste punching ball favori. Mais Radu Jude, c’est autre chose. Un cinéaste qui peut faire des films qu’on n’aime pas tous dans leur ensemble mais dont tel ou tel élément laissera une petite trace. Par exemple la femme qui se transforme en Mâle Alpha vulgaire sur la toile et le roi du nanar Uwe Boll en tournage comme révélateur de l’utilisation par Hollywood de la Roumanie pour faire du dumping fiscal dans N’attendez pas la fin du monde. Film de près de 3 heures durant lequel on a pas mal regardé la montre.

Un film de Jude est typiquement un verre qui sera à moitié vide ou à moitié plein selon le goût de chacun. Mais le travail de Jude a le mérite de faire moins cinéma mille fois vu dans les grands festivals que celui d’un certain nombre de ses collègues du cinéma d’auteur roumain.

Titré en hommage à Rossellini (Europe 51), Kontinental ‘25 a été tourné avec un IPhone en une dizaine de jours pendant une d’interruption du tournage de Dracula (qui sort en France le 15 octobre).  Huissière de justice (d’origine hongroise) en Transylvanie, Orsolya (Eszter Tompa) doit expulser un sans-abri vivant au sous-sol d’un immeuble voué à être transformé en hôtel de luxe. Le suicide de ce dernier va lui donner un sentiment de culpabilité.

Une variation de plus sur Dostoïevski et Crime et Châtiment pour parler de la situation contemporaine de l’Europe de l’Est ? Pas tout à fait. Parce qu’avant le suicide Jude suit son sans-abri, parfois en mode provoc’ facile (le sans-abri à la terrasse, le même viré de scène après avoir pris le micro), parfois avec des éléments plus surréalistes : le sans abri se réveillant près de dinosaures de (jurassic) parc d’attractions, face à un robot chien… Certains termes (boutique hotel) semblent repris par les personnages comme s’ils relevaient d’une langue étrangère. Chanter Staying Alive alors qu’on essaie de ranimer un mort relève ici d’une ironie macabre.

Et l’apparente pauvreté formelle du dispositif contient des plans larges dont les cadrages semblent donner une étrangeté et une irréalité au décor urbain. Le choix de l’entreprise de construction de l’hôtel est ironique pour un film qui va évoquer le  racisme entre Hongrois et Roumains : KUK. Kaiserlich und königlch (impérial et royal), le nom donné aux institutions communes à l’ex-double monarchie austro-hongroise. On soupçonne même Jude d’avoir en tête le concept de Cacanie, forgé à partir de KUK par l’immense écrivain autrichien Robert Musil pour évoquer la décadence de l’Empire austro-hongrois.

Le principe de la partie post-suicide est en apparence répétitif, fait de dialogue entre Orsova et divers interlocuteurs (un prêtre, un ancien élève devenu livreur…) au cours desquels elle cherche le réconfort. Tout en donnant diverses versions de l’épisode du suicide. Il sera entre autres question d’évoquer la situation d’Orsoya en citant La Liste de Schindler, du laveur de WC de Perfect Days dès qu’on parle de merde, de savoir si un chef d’Etat démocratiquement élu peut être considéré comme fasciste, de se demander si le PIB mesure le degré de civilisation d’un pays… Avec très vite la sensation qu’Orsova parle d’un problème dont elle fait partie. Et une fin à la fois juste et bâclée racontant une ville en travaux permanents.

S’il fallait lier Jude à la comédie italienne, ce serait celle de la fin des années 1970, celle qui ne prenait plus de gants pour plonger le spectateur dans la saleté parce que la vulgarité de la décennie 1980 était déjà en embuscade. Il est cependant dommage que le dispositif du film cale dans son dernier tiers. Chacun décidera s’il préfère ou pas un film de près de deux heures faiblissant sur la durée au film de près de trois heures en courant plus qu’alternatif plus haut mentionné. S’il préfère ou pas les limites du minimalisme à celles d’une approche ample et hybride.

Voilà, c’était le « petit » projet tourné pour faire une pause pendant un Dracula annoncé à près de trois heures. Une durée faisant peur sur le papier… pour un projet bien vendu par Jude en mode « Fallait bien que les Roumains donnent leur version du mythe ».

Ordell Robbie

Kontinental ‘25
Film roumain de Radu Jude
Avec : Eszter Tompa, Gabriel Spahiu, Adonis Tanța
Genre : Drame
Durée : 1h49mn
Date de sortie en salles : 24 septembre 2025

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