Pas de grand soir ni de yacht, mais l’essentiel : mclusky transforme l’acide en euphorie. Un son tenu, des chansons qui frappent, un humour au cordeau – et cette sensation rare d’assister à un défouloir intelligent, partagé à bout portant.

Mclusky, ah, mclusky ! Un exemple – parmi d’autres, bien entendu – d’un groupe excellent, qui peine depuis toujours à franchir le plafond de verre qui le sépare d’une reconnaissance populaire à laquelle la qualité de sa musique lui donnerait droit, logiquement. D’ailleurs, c’est encore pire en France, où les tristes rejetons d’un post-punk qui fait bégayer l’histoire font sold out dans de grandes salles parisiennes, tandis qu’eux semblent avoir du mal à remplir Petit Bain. Et la récente sortie d’un nouvel album brillant ne paraît pas avoir significativement changé la donne. Peut-être, après tout, leur musique est-elle trop radicale et trop intelligente pour caresser le grand public dans le sens du poil. En tout cas, ce soir, le public sera composé de vrais fans, portant le groupe dans leur cœur, et c’est là finalement le bon côté de la chose, non ?
20h30 : Mais avant mclusky, on nous offre une belle gâterie (pour chiens ?) : Gâtechien. D’abord, c’est un groupe qui se fait rare : d’après nos recherches, leur dernière sortie discographique date de 2019, et Laurent, le bassiste, avoue ne faire « plus que 4-5 concerts par semaine,… euh, pardon, par an » ! Ensuite, la musique de ce duo vraiment peu conventionnel (basse, batterie) ne ressemble pas à grand-chose, ou plutôt agrège beaucoup de styles différents, du punk indé français au post-rock, en passant par le rock indé et même des éclats de free jazz. Et enfin, ce que fait Laurent Paradot avec sa basse est ahurissant d’originalité et de virtuosité, au point de constituer un spectacle en soi. Et puis, parce qu’on n’a pas fini notre énumération, il y a l’humour, pince-sans-rire, omniprésent, autant dans les titres des chansons que dans les déclarations de Laurent (en témoigne son : « Bon, mclusky… mais on ne choisit pas ses deuxièmes parties ! »). Bref, 35 minutes différentes, étonnantes, vivifiantes même, qui constituent une belle ouverture de soirée. Un seul regret, le chant vraiment au-dessous de la qualité de la musique jouée par ce duo de forcenés virtuoses. Mais là encore, c’est Laurent, certainement conscient de ses limitations, qui a le dernier mot, en nous interprétant une chanson, Morrissey, dans laquelle il dit regretter ne pas chanter comme le frontman des Smiths ! Bien joué !
21h30 : on démarre très fort avec le féroce (non pardon, super-féroce…) Lightsabre Cocksucking Blues : un titre dont les paroles (avec cette référence à Star Wars ?) nous restent absconses après toutes ces années (« And I’m fearful I’m fearful I’m fearful of flying / And flying is fearful of me » – Et j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur de voler / Et voler a peur de moi), mais peu importe car c’est drôle et enragé, illustrant parfaitement la martingale gagnante de mclusky. Bon, « très fort », c’est un peu exagéré parce que le son n’est justement pas très fort : nous sommes au premier rang, juste en face du Marshall d’Andy « Falco » Falkous, et nous devrions être atomisés par le son. Mais ce n’est pas le cas, et le fait que l batterie de Jack soit placée derrière un écran de plexiglass, et qu’Andy porte, durant quasiment tout le set d’une heure et cinq minutes, un casque de protection auditive, semble indiquer qu’il doit préserver son ouïe, ceci expliquant cela. Une fois admis que le set ne sera pas une tuerie sonore, il nous reste plutôt à apprécier la qualité des morceaux et de leurs textes – et ça tombe bien, car ce sont bien là les forces du groupe. Et à pogoter bien sûr avec le public enthousiaste et joyeux qui a bien rempli Petit Bain, comme si on était à nouveau à Londres en 1977. Car si mclusky porte une étiquette moderne de « post-hardcore », nous avons régulièrement ressenti au cours de leur set cette excitation joyeuse que nous ressentions – pour ceux qui étaient déjà nés et en âge d’aller aux concerts – à l’époque aux premiers concerts de The Clash ou The Damned…
La setlist de ce soir va s’avérer quasiment idéale, privilégiant les deux meilleurs albums de mclusky : Mclusky Do Dallas, le sommet de leur première vie, et The World Is Still Here and So Are We, leur toute dernière production, éblouissante d’énergie, de créativité et… de drôlerie. Car répétons-le encore et encore, l’humour – très anglais, très fin, très second degré aussi – est l’une des armes fatales du groupe. Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore bien les textes des nouvelles chansons, il y a de toute façon la folie furieuse – assez hilarante – du jeu de scène de Damien Sayell à la basse, et les plaisanteries régulières d’Andy, délivrées avec un aplomb réjouissant. Depuis son « Nous sommes Kings of Leon, et nous faisons des tournées chaque année avec ce set alternatif ! », jusqu’à un « Venez nous voir au Merch, nous voulons nous payer un yacht. Bon, un yacht modèle réduit, hein ? » en passant par « Vous pouvez chanter en chœur avec nous, mais ne reprenez pas ce que je chante, moi, c’est personnel ! », pour finir par un « En fait il ne reste pas deux chansons à jouer ce soir, mais trois. Mais ne croyez pas que c’est parce que vous en avez réclamé plus, je me suis juste trompé en lisant la setlist ! », Andy n’est jamais en manque de plaisanteries… On rira bien aussi quand Damien descendra jouer un titre dans la fosse, avec une spectatrice sur ses épaules, tout en se plaignant amèrement de ne plus avoir les forces et l’âge de faire ce genre de choses !
Il y aura trop de bons moments musicaux pour qu’on choisisse les meilleurs, mais Kafka‐Esque Novelist Franz Kafka s’est avéré comme attendu un grand moment de folie punk, Alan Is a Cowboy Killer nous a emballés avec ses montagnes russes émotionnelles (« But you were such an ugly child / You were such an awkward child / You were such a stupid child » – Mais tu étais un enfant si laid / Tu étais un enfant si maladroit / Tu étais un enfant si stupide), et Autofocus on the Prime Directive a confirmé sa pertinence. Avant que tout se termine sur le classique – et terriblement ironique To Hell With Good Intentions (« My love is bigger than your love / We take more drugs than a touring funk band / Sing it » – Mon amour est plus grand que ton amour / Nous prenons plus de drogues qu’un groupe de funk en tournée / Chante-le !)… dans l’allégresse générale…
Car c’est bien là la plus formidable magie de mclusky, transformer des chansons de colère, de rage même, vis-à-vis de tout ce qui dysfonctionne, dans la société, mais en nous-mêmes aussi, en vastes parenthèses de pure jouissance.
Bon, on attend maintenant leur retour – peut-être pour jouer leurs versions de chansons de Kings of Leon ? Et puis, aussi, Andy, pourquoi pas avec Future of the Left, ton autre groupe ?
Gâtechien :
mclusky :
Eric Debarnot
Photos : Robert Gil