Etonnant et déroutant album autoproduit, renfermant d’étranges ferments, situés entre la musique indus, le post-rock, le shoegaze, Apostles of the Flesh est une réussite totale. Au delà d’une pochette séduisante, c’est tout une symbolique qui est déroulée, comme un parchemin sacré. Et l’on ne peut plus se passer de l’écouter dans son intégralité. -II- a devant lui un avenir plus que prometteur !

L’automne se présente sous le profil d’une mosaïque de fleurs fanées, couronnée de pampres, de couleurs sang, d’une mélancolie ténébreuse. On connaît la malédiction des miroirs qui ont pour fâcheuse habitude de multiplier les illusions, les mirages et les spectres, toutes sortes d’iconographies trompeuses. La vanité consiste en la suprématie de l’objet sur le sujet. A la différence de nombreux groupes se réclamant dignes héritiers de la dark wave ou de la musique gothique, -II- (prononcer Two Eyes) ne commet pas l’erreur fatale de croupir dans un cloaque où se répètent à l’infini les mêmes formules.
Une partie de l’humanité jouit d’un bonheur provisoire, hélas tout ce qui a été amassé ici-bas n’est que fumée. Détail périphérique, dans ce monde où le succès est souvent la conséquence d’une aliénation, la déception paraît inacceptable. Il ne suffit pas de désirer encore faudrait-il que ce soit le fruit d’un travail et d’une préoccupation constante. Hasard du calendrier ou caprice du temps, Apostles of the Flesh, de –II- (Prononcer Two Eyes) paraît au bon moment : étonnamment, il pourrait être considéré comme une de ces pièces religieuses échappant à toute évaluation, dont les innombrables lignes de fuites désarçonnent tout ce qui se rapporte au sacré. Au travers des arcanes les plus vénérables et au bruissement des feuillets d’un poussiéreux grimoire, Hélène Ruzic et Benjamin Racine se sont plongés, corps et âme, dans une nouvelle approche. Succédant à Extinction, basé sur des compositions majoritairement électroniques, ce nouvel album prend un virage ancré dans des éléments alchimiques. En préambule, The Birth Of Venus convainc par ses nuances, ses aspects spectraux.
Le challenge étant qu’en autoproduction, le résultat soit au-delà même des espérances du projet initial. Digging For Blood flanqué d’un clip d’une beauté sanguine, se hisse dans les hauteurs du génie. S’entend par cette affirmation que l’intégralité de la composition est autant vénéneuse que délicieuse. On y retourne jusqu’à en faire déborder la cuillère. L’impact de Lotis est tel que tout semble se désagréger autour, par ses breaks indus, rien ne résiste au rouleau compresseur que constitue le chant colérique et adouci de Hélène et les murs sonores ravageurs et apaisés, et il en ressort une sensualité à fleur de peau.
Justement, plutôt que de se précipiter au creux du noyau, Two Eyes prend le temps d’examiner la surface de la matière organique, respectant chaque nervure, chaque relief gravé par la nature. Curieuse créature à deux têtes qui jamais ne se disperse, qui va à l’essentiel.
Franck Irle