« La Suédoise », de Giancarlo de Cataldo : une certaine idée du crime

La trajectoire imprévue d’une jeune femme, dans les méandres des milieux criminels romains. Un pur roman noir, à la fois radiographie d’une banlieue italienne et des fonctionnements contemporains des milieux mafieux.

Nous sommes en 2020 et Sharo du haut de ses vingt-trois ans cherche à donner du sens à son quotidien alors qu’une pandémie fait son apparition à a surface du globe. Elle vit à Rome et fait les quatre cents coups avec son copain Fabio, sans savoir que ce dernier participe à des petits trafics. Lors d’une livraison, les choses tournent mal et Fabio se fait faucher par une voiture et fini blessé. Il demande à Sharo de mener à son terme la livraison en cours dans une grande propriété de la ville, chez un homme qui se fait appeler le Prince. Sharo s’y rend à contrecœur sans imaginer qu’elle s’apprête à prendre un tournant radical dans sa vie. La rencontre avec le Prince va être surprenante et déterminante. Elle va avoir ensuite beaucoup de mal à oublier cet évènement.

La SuédoiseJe découvre avec ce court roman noir aux dialogues percutants, l’écriture et le travail de Giancarlo de Cataldo. Un auteur avec de nombreuses connaissances sur le milieu de la mafia en Italie dont j’avais déjà entendu parler. Il est notamment l’auteur de Romanzo Criminale, un roman documenté et dense sorti en 2006 sur la mafia italienne et ses fonctionnements. Dans La Suédoise, l’auteur se met à jour et on sent que les pratiques des truands ont évolué deux décennies plus tard. Que de nombreuses petites mains sont prêtes à tout pour se faire une place dans les milieux les plus confidentiels, notamment se rapprocher de la fameuse famille calabraise tout en haut d’une chaîne qui ne dit jamais son nom. Sharo illustre parfaitement cette ascension progressive et les moyens qu’elle met en œuvre pour cela. Un personnage de femme réussi qui flirte à plusieurs reprises avec des truands violents qui peuvent tuer sans un remords, au détour d’une phrase. Il y a donc des similitudes avec les fonctionnements des anciennes mafias et en même temps les choses ont évolué et le code d’honneur n’est plus ce qu’il était. Orso, le fameux aristocrate que Sharo rencontre en début de roman et qui se fait appeler le Prince montre bien le décalage qu’il peut y avoir entre les anciens et les nouveaux requins. Pour autant, l’argent reste la variable d’ajustement tout comme l’appât du gain. Une constante malgré les années qui passent.

Sharo voit de nouvelles connaissances prendre des risques et perdre la vie. Mais cela ne l’empêche pas d’avancer et d’apprendre à décoder comment elle doit fonctionner. Elle peut pour cela s’appuyer sur un sang-froid à toute épreuve, qu’elle a forgé dans le quartier dans lequel elle a grandi, les Tours. Un environnement où l’avenir est peu reluisant et où la désillusion n’est jamais loin. Sharo est un personnage complexe qui est rebuté dans un premier temps face à ce milieu qui n’est pas du tout en adéquation avec ses valeurs. Son but à elle et de s’occuper au mieux de sa mère même si cette dernière lui fait vivre un enfer. Et petit à petit on sent qu’elle se laisse embarquer dans ces milieux, sans que ce soit un basculement net.

Là où ce personnage est intéressant, c’est aussi comment elle s’apprête à changer, comment elle parvient à évoluer dans un milieu en grande partie masculin et dans lequel les femmes ont peu de visibilité même si elles peuvent avoir un rôle primordial. Sharo ne se construit pas uniquement par rapport aux mafieux quel côtoie, mais elle décide aussi de prendre des initiatives qui vont la faire avancer sur l’échiquier des trafics de la ville. Elle va alors à la fois rendre nerveux les uns et les autres et dans le même temps inspirer du respect. La Suédoise dresse un tableau réaliste d’une ascension criminelle fulgurante. Un roman noir qui s’inscrit dans une tradition italienne et qui représente un environnement et ses codes avec justesse.

Sébastien PALEY

La Suédoise
Un roman de Giancarlo de Cataldo
Traduit de l’italien par Anne Echenoz
Éditions Métailié
23 euros, 240 pages.
Date de parution : 3 octobre 2025

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