Décidément, l’âge de signifie rien pour Robert Finley, 71 ans, qui faisait escale à Paris, à la veille de la sortie de son cinquième album, et a fait trembler de bonheur la Cigale avec sa soul vintage, venue du tréfonds de la Louisiane.

Pour une fois, commençons par la fin. Par cet inhabituel cri d’enthousiasme général pour accompagner Robert Finley dévalant les escaliers de la Cigale comme un enfant, accompagné par sa fille, au milieu des centaines de spectateurs sortant de la salle… Trop pressé de retrouver ses fans au stand merchandising, d’être immortalisé sur des selfies et de signer des disques ! Et le public d’entonner en chœur, autour du chanteur, les paroles de la chanson finale, à peine terminée quelques instants plus tôt sur la scène de salle du boulevard de Rochechouart : « Make me feel alright ! » Un moment plein de bonnes ondes comme on en a tous besoin par les temps qui courent, pour couronner un beau concert.
Rembobinons un peu. Robert Finley faisait donc étape à Paris en ce jeudi de début octobre, à la veille de la sortie de son cinquième album (Hallelujah ! Don’t Let The Devil Fool Ya), pour la deuxième date de sa nouvelle tournée, lancée quelques jours auparavant à Londres. Etonnant choix de débuter la tournée avant la sortie du nouvel album. En tout cas, la réception médiatique de l’album, déjà amorcée, est une fois de plus excellente pour l’ancien ramasseur de coton, militaire, menuisier, enfin musicien faisant l’aumône pour compléter sa retraite et repéré par une association spécialisée dans l’aide aux musiciens âgés… lancé dans l’industrie musicale en 2016, à 62 ans, et qui enchaîne depuis les albums, tous aussi bons les que les autres, de soul sudiste, teintée de blues, country, et, encore plus que jamais pour ce nouvel album, d’une touche, et de l’esprit, du gospel. Le tout désormais sous l’aile de Don Auerbach, des Black Keys, son producteur pour la 3ème fois.
A 20h50, c’est dans une Cigale pleine dans sa configuration assise (que l’on aurait préféré pleine en configuration debout, mais c’est déjà pas mal) que le groupe de Finley s’avance : Liam Hart (guitare), Charlie Love (batterie), Ollie Hopkins (basse) et Barny Jones (claviers). C’est réjouissant : ce sont quatre jeunes gens qui prennent possession de la scène en chauffant la salle pour annoncer l’arrivée de notre septuagénaire préféré, accompagné de sa fille aîné Christy Johnson aux chœurs et le guidant en cas de besoin — Finley a développé un glaucome qui l’a rendu malvoyant, mais pas « aveugle » ou « quasi aveugle », ainsi que l’on peut parfois le lire. D’emblée, Robert Finley va montrer que, si sa mobilité est en partie, logiquement, entravée, par l’âge et la malvoyance, il y a une vie énorme en lui, il y a la joie de celui revenu de toutes les épreuves et qui vit aujourd’hui sa meilleure vie, qui veut partager bonheur d’être là, en vie, parmi nous, avec nous qui aimons sa musique. Ce côté prêcheur enthousiaste d’église gospel, qui le rapprocherait, dans l’esprit, et toutes proportions gardées, du Nick Cave d’aujourd’hui !
En tout cas, Robert se dandine autant qu’il peut, chante divinement, et fait hurler le public d’enthousiasme quand il monte dans les aigus, appuyé par son groupe, solide (qui fera oublier l’absence d’une section de cuivres, mais ces derniers ne sont pas centraux dans sa musique). Et Robert, aussi, papote avec le public, donnant un caractère sacrément vivant au show, prévenant d’emblée qu’il fera des efforts pour ne pas être trop long, « car on me dit que je parle toujours trop ! », avant de délivrer quelques prêches, ou plutôt conseils de vie, simples et lumineux, tirés de son expérience, tel celui de saisir les opportunités quand elles se présentent, pour lancer la chanson éponyme (Get It While You Can), après, en ouverture, la très dynamique I Just Want To Tell You, qui ouvre également son premier album (Age Don’t Mean a Thing, 2016).
Ce soir, la setlist est un « pot pourri » empruntant à tous les albums du Louisianais, et, en sus de celle-ci du premier album, trois à quatre de chacun des autres, dans une connotation générale restant très soul pour cette tournée. Trois chansons du nouvel album seront dévoilées : Helping Hand, Holy Ghost Party et I Wanna Thank you. On relève, après une très belle entame de concert, l’enchaînement de deux chansons profondément personnelles, le midtempo Livin’ Out A Suitcase, évoquant ses voyages pour tenter de gagner quelques sous avec sa musique, avant la réussite ; puis Sharecropper’s Son (Le fils du métayer), aux relents country, dans laquelle Finley évoque de manière très autobiographique sa jeunesse en Louisiane, assume son éducation, la pauvreté, les valeurs associées au travail malgré les difficultés (“Ain’t no time for education / Too much corn in the field / Ain’t got time to go to school, y’all / We got too much work around here”). Deux extraits de la vie de Finley, deux miroirs sans fard mais aussi sans plainte, dans lesquelles transparaissent sa joie de vivre, malgré les épreuves.
Assis, afin de se reposer un peu, il chante une autre chanson de Sharecropper’s Son, la ballade mélancolique et empathique I Can Feel Your Pain, en montant dans les aigus de sa voix de baryton-soul, et c’est superbe. Le fantôme de Nina Simone rôde alors, pas moins… Sur If You Forgive My Love, c’est celui d’Otis Redding qui plane, une influence assumée et évidente. Les experts en southern soul évoquent aussi les Staple Singers, qui, dans le registre, ne sont jamais très loin. Enchaînant les belles chansons bien troussées, Finley n’oublie pas de remercier régulièrement sa fille, « l’aînée, mais parfois elle se comporte comme une mère pour moi ! », qui a mis entre parenthèses sa carrière pour l’accompagner sur les routes du monde entier depuis près d’une décennie. Il lui laisse une chanson, de transition, qui est un peu le ventre mou du concert (My Father’s keeper, tout est très premier degré et à fleur de peau ce soir… enregistrée en studio cet été, a indiqué son paternel). Empathie, toujours, Finley entame ensuite un monologue précis pour lancer la touchante Nobody Wants To Be Lonely, en expliquant l’origine de la chanson : sa visite à un ami en maison de retraite, et souhaitant que, un jour, on n’y aille plus « comme en prison pour un crime qu’on n’a pas commis ».
Après avoir refait claquer l’un de ses « classiques », à nouveau dans les aigus, Souled Out On You, le chanteur conclut le set avec I Wanna Thank You, qui ouvre son nouvel album, et refait trembler les murs de la Cigale, non sans avoir remercié à nouveau sa fille, ses enfants et petits-enfants (« Ils me supportent à 100% ! Ma petite-fille figurait même sur Black Bayou [son album précédent], ça faisait trois générations représentées sur l’album ! »)… et tout le public présent, avec, encore une fois, joie, reconnaissance et effusions limitées : « La plupart des gens prennent leur retraite à 65 ans, et moi, je suis devenu vivant à 65 ans ! » dit-il dans un éclat de rire, et sous les applaudissements. Le rappel viendra conclure ce beau moment de communion dans une Cigale à présent debout, avec une présentation des musiciens, ayant chacun leur solo, offrant au passage une belle image multiculturelle de l’Amérique (celle que l’on aime !), et un Make Me Feel Alright extatique et en communion. Une belle tranche de vie, superbement incarnée : longue vie à Robert Finley !
Jérôme Barbarossa
Photos : JB et Tristan Sanson (merci à lui !)
Robert Finley à La Cigale
Production : Cartel Concerts
Date : le 9 octobre 2025
Prochains concerts en France : St-Chamond (Château du Jarez) le 18 octobre, Istres le 19 octobre, Saint-Brieuc le 21 octobre, Balma (Toulouse) le 22 octobre.