Pour les plus anciens ici qui se rappellent du gros tube de 1975, Julia, le nouvel album de Pavlov’s Dog aura l’effet d’une petite madeleine de Proust. Pour les autres, Wonderlust pourra s’avérer une belle découverte d’une musique lyrique, ambitieuse et complexe, assez typique de ce qui se faisait dans les années 70…
Très honnêtement, même ceux qui, comme nous, avaient vibré sur le hit de 1975, Julia, ne pouvaient s’imaginer cinquante ans plus tard écouter à nouveau un album signé Pavlov’s Dog… Un « one hit wonder band », une gloire réellement très éphémère, puisque les disques de l’époque, Pampered Menial (1975), réussi, et At the Sound of the Bell (1976), décevant, n’étaient pas particulièrement restés dans les mémoires, à la différence du brillant premier single, Julia. Et pourtant, contre toute attente, en ce début d’automne 2025, voilà que Pavlov’s Dog refait surface avec Wonderlust, publié sur le label Ruf Records,… et que ce nouvel album s’avère étonnamment bon. Meilleur peut-être même que le premier album de la « bande à David Surkamp« , l’homme à la voix de cristal fêlé.
Une recherche rapide révèle que, en fait, Surkamp, en dépit de l’échec de At the Sound of the Bell, quand son groupe s’est délité, n’a jamais cessé de croire à la pertinence de sa musique. Dans les années 90, Pavlov’s Dog – qui n’existait plus – a peu à peu gagné un petit statut culte en Europe, et Surkamp a alors relancé la machine, avec un nouvel album, Lost in America (1999), suivi par Echo & Boo (en 2010) et Prodigal Dreamer (2018). Les membres originaux de Pavolov’s Dog étant désormais décédés, le groupe tourne autour d’un noyau formé par Surkamp, sa compagne Sara, et Abbie Steiling, le nouveau violoniste.
À sa naissance, Pavlov’s Dog incarnait une forme unique de « rock progressif » US, qui n’avait pas grand chose à voir avec la virtuosité prétentieuse des formations anglaises. D’ailleurs Pampered Menial avait été produit par Murray Krugman et Sandy Pearlman, les deux complices qui avaient présidé à la naissance du Blue Öyster Cult. Finalement, comme chez le BÖC, mais dans une musique moins « heavy », tout aussi mélodique mais plus baroque, le but était de rechercher une forte intensité dramatique. Il était donc assez logique que les fans du BÖC s’amourachent simultanément de Pavlov’s Dog. Mais le positionnement assez indéfinissable du groupe l’empêcha de trouver un large public… le condamnant à la confidentialité.
Alors, la malédiction peut-elle être levée aujourd’hui, alors que les genres musicaux sont plus poreux qu’ils ne l’étaient alors, et surtout alors que – les années passant – la musique de Pavlov’s Dog a gagné une maturité indiscutable ? Ce n’est pas certain, car, même si la voix de Surkamp a perdu beaucoup de son androgynéité, et si les onze titres de Wonderlust sont tous solides, riches et chaleureux, voire même pour certains vraiment puissants, sa singularité reste étonnante.
Les titres alternent entre belles ballades mélancoliques et généreux élans épiques : après une introduction déjà fortement émotionnelle – Anyway There’s Snow, Jet Black Cadillac pourrait être un hit pop, avec sa mélodie accrocheuse. Mona évoque, curieusement, un Springsteen première période, et, de ce fait, est lui aussi joliment convaincant. Another Blood Moon rappelle la grandeur des débuts du groupe : voilà une chanson follement romantique, où le chant de Surkamp fait des merveilles (même si l’on sait que sa voix, avec cette manière unique de mêler fragilité et emphase, est clivante…). Collingwood Hotel, belle chanson nostalgique illuminée par le violon d’Abbie Steiling, ravive le souvenir de la « Big Music » chère aux débuts des Waterboys : et quand le final se fait l’écho des grands refrains de la musique celte, cette connexion à travers l’Atlantique ne semble d’un coup, pas si absurde que ça. Solid Water, Liquid Sky chaloupe plaisamment dans les mêmes eaux, avec une simplicité rock bienvenue au milieu des sommets lyriques de l’album, et se révèle l’un des titres les plus immédiatement gratifiants de Wonderlust.
Can’t Stop the Hurt surprend en flirtant avec le hard rock seventies, et sans être du niveau du reste, montre que le groupe sait aussi s’amuser. A l’inverse, Calling Siegfried, hommage au violoniste original du groupe, est un instrumental « collectif » ne rechignant pas devant la virtuosité, légèrement jazzy et assez gracieux. Les trois derniers titres de l’album ont été co-écrits par Surkamp et son ancien complice, Doug Rayburn, décédé en 2012. Le premier, I Told You So, est malheureusement le titre le plus dispensable du disque, et sa position en milieu de seconde face trahit bien que c’est aussi l’opinion du groupe. Il est suivi par Canadian Rain, qui, approchant les sept minutes, est la grande pièce lyrique et complexe du disque… C’est sans doute le titre le plus traditionnellement « prog rock » de tout l’album, avec ses ruptures de ton… et l’on peut trouver discutable son solo de basse « slappée » qui, lui, évoquera les excès de Yes à l’époque de Yessongs. I Wait for You referme dans l’émotion ce nouveau chapitre inattendu (tout au moins pour nous) de la carrière d’un groupe qui ne mérite clairement pas l’oubli dans lequel il est tombé.
Car Wonderlust n’est pas un exercice de nostalgie, c’est un album à la sincérité indiscutable, porté par un groupe qui joue certes dans une tradition « années 70 », mais qui exsude le plaisir d’exister et de jouer encore, au-delà des modes. Entre la flamboyance d’hier et la sagesse qu’ont apportée les années écoulées, Pavlov’s Dog nous touche, et gagne notre cœur.
Peut-être même plus aujourd’hui qu’autrefois.
Eric Debarnot