Plusieurs générations d’une famille libanaise avec des vies cabossées défilent sous la plume de Souhaib Ayoub. L’auteur développe une narration éclatée et une écriture mordante, dans ce court roman qui saisit le lecteur.
L’histoire se déroule dans un quartier populaire de Tripoli au nord du Liban. Un quartier qui abrite un immeuble délabré dans lequel on part à la rencontre d’Hassan, un adolescent mutique qui fait des rêves étranges et qui a une riche vie intérieure. On découvre sa vie au fil de ce roman. On sent que le jeune Hassan cache des zones d’ombre sans vraiment savoir à quoi elles ressemblent. Il entame d’ailleurs dans ses différents songes, un étrange dialogue avec les morts. Que ce soit avec sa mère Saadiyé dont il est très proche ou encore avec sa grand-mère Chamsé, issue d’une tribu bédouine et dont le cadavre sera retrouvé mutilé pendant le roman.
Vous l’aurez compris Le loup de la famille est un roman singulier qui mêle réel et imaginaire, dans un récit qui se lit en immersion. La langue travaillée permet de faire défiler la vie du jeune Hassan, tout comme les vies qui l’entourent dans l’immeuble et dans sa famille. Des trajectoires qui gravitent et sont heurtées par la pauvreté, la violence sous toutes ses formes, le crime ou encore l’ironie. Un texte qui montre une partie de la violence des hommes et le poids que peut avoir une génération sur une autre.
Le style est particulier et il faut se laisser porter par la langue de Souhaib Ayoub. Une écriture qui permet d’être au plus près des sensations des personnages décrits, des épreuves qu’ils et elles traversent ou encore (et surtout) de leurs pensées. Les images convoquées par l’auteur marquent, et en même temps surgissent au détour d’une phrase, sans détour. Au-delà des trajectoires de vie cabossée qui sont retranscrites, l’auteur parvient à brouiller régulièrement les pistes et les frontières. Comme lorsqu’il est question du sexe des personnages, des liens de parenté qu’ils ont entre eux, des actes violents des uns et des autres. On est régulièrement sur une frontière volontairement floue et qui participe à la mise en place de cette atmosphère particulière. On comprend vite qu’il y a eu un crime et que cela concerne une femme, mais on ne sait pas tout de suite par exemple ce qui s’est réellement passé ni dans quelles circonstances. C’est une violence qui ne dit pas son nom et qui avance au fil du récit, qui permet de saisir par la suite ce qui s’est joué.
Souhaib Ayoub restitue bien l’image d’une ville et de ses marges avec un Tripoli loin des clichés et des cartes postales. Il connaît sa ville natale et ça se sent. On est plus proche d’une écriture à l’os qui regarde le monde et le décrit sans fard, même dans ce qu’il a de plus sombre. C’est tout un voisinage qui va faire vivre ce roman, avec des destins qui se croisent ou se loupent. Des histoires vécues dans et autour d’un immeuble, et qui forment le corps du texte. Les pensées des personnages ont toute leur importance à commencer par celles d’Hassan, le jeune homme mutique de la famille dont il est question au début. L’amour est aussi au centre de ce texte comme lorsque le père d’Hassan, Ziad, développe un amour sans limites pour une prostituée transgenre appelé Dolce Vita. Dolce Vita qui sera avec Hassan un autre personnage marquant du roman je trouve.
Une lecture exigeante donc au premier abord, mais qui bouscule et sort le lecteur de sa zone de confort. Le loup de la famille donne au bout du compte, un texte singulier, notamment dans le traitement des personnages de cet immeuble et surtout dans le développement de leurs psychés. Une écriture et une langue à découvrir sans hésiter.
Sébastien Paley