[Live review] Malik Djoudi au Centre des bords de Marne (Le Perreux-sur-Marne) : vertige de l’amour

En tournée depuis près d’un an pour soutenir son brillant quatrième album, Vivant, Malik Djoudi était l’une des têtes d’affiche du Festival de Marne, avec deux dates en quelques jours en banlieue parisienne. L’occasion de faire le point sur notre grand chanteur magnétique et groovy.

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D’emblée, la bande-son pose le décor, et le niveau de la barre posée par Malik Djoudi : James Blake (Retrograde), puis Portishead (immense The Rip), résonnent dans la grande salle du Centre des bords de Marne, au Perreux-sur-Marne, à moins d’une demi-heure de Paris. Le chanteur poitevin y donnait, ce vendredi 17 octobre, la seconde de ses deux dates au Festival de Marne, qui propose chaque année une sélection de concerts de musique française de qualité (chanson, rock, électro, rap), afin de maintenir un peu de chaleur dans l’air du 94 au moment où les températures flanchent durablement, de fin septembre à mi octobre.

En bande-son, donc, le grand, le meilleur du trip hop, qu’il soit millésimé des pionniers des 90s ou plus récent, et le falsetto, proche, de Blake, pour poser le décor. Les derniers beats de The Rip montent dans la salle, le volume de plus en plus fort, pour annoncer l’entrée en scène de Malik Djoudi et de ses musiciens : le désir de s’inscrire dans cette continuité et cet héritage est clair. Ambitieux, aussi, et Malik Djoudi l’est assurément. Il a raison : comme nous l’avons écrit précédemment, et en particulier lors de la sortie de Vivant, il est à présent un artiste confirmé et installé dans le paysage musical français, avec quatre albums reconnus au compteur, et tout dans son œuvre est en place : qualité (voire génie sur certains titres) mélodique et des paroles, force et intensité du mélange de ce groove mélancolique, de poésie doucement étrange, et de textes autobiographiques et universels, balancés d’une voix inimitable, aérienne et androgyne, tantôt douce, tantôt puissante, toujours marquante. Tout est en place, pour un succès plus massif, dans la lignée d’un Daho qui l’a pris sous aile, et que l’on invoque à tout bout de champ à son sujet, référence incontournable, qui a connu le succès peut-être pour moins que cela dans les années 1980. Ce succès qui va au-delà de l’estime, Djoudi l’a assurément dans les cercles parisiens, ayant rempli fin 2024 une Cigale inaugurale de cette tournée en moins de temps qu’il ne faut pour l’annoncer, et bientôt un Olympia que l’on imagine triomphal. Au-delà du périph’, c’est une autre histoire, comme on peut le constater dans la grande salle, en effet collée aux bords de Marne, de 500 places remplie « seulement » aux trois quarts… mais, heureusement, d’un public acquis à la cause du Poitevin, démontrant l’existence d’un public réel, et même d’une « fanbase », ce qui est rassurant pour un artiste de cette trempe !

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Le début du concert pose les choses : après la force de l’intro au son de Portishead, Viens on prend le temps, troisième piste du dernier album, en entrée, est faite pour marquer les esprits, jouée avec force, sur sept minutes étirées, par Djoudi et son trio de musiciens dans la formule basse (Camille Friley) – claviers (Gérard Black, aussi très ponctuellement à la guitare) – batterie (Noé Benita). Le groove unique, à la fois sensuel, mais aussi froid, dans ce mélange inimitable de chanson française, de funk et de synth-pop, est en place, tout comme les jeux de lumières, nuancés et subtils, et l’on sait que l’on va passer une très bonne soirée. Vivant est, sans surprise, plus qu’à l’honneur de la setlist retenue pour cette tournée, et c’est d’autant plus normal pour ce que beaucoup considèrent comme le meilleur album français de 2024 : huit autres chansons en seront jouées ce soir, seules Mes ami(e)s et la finale Accord magique étant délaissées. On redécouvre des titres moins évidents sur l’album comme la formidable Messes basses (J’les entends rire / J’les entends parler  / De nous / Mais dorénavant / On a plus le temps / Je préfère rêver), Dernier Cri (qui semble sortie du Moon Safari d’Air dans sa version scénique), ou Excite, à l’excellence même pas diluée par le possible clin d’œil à l’envers à Daho (Des nuits sans sommeil / On en a rien à foutre / Ce que les autres peuvent penser / Journée sans réveil), sur une chanson plutôt Eros que Tanathos. Maman se révèle très touchante, avec en intro un enregistrement intime de la mère du chanteur, lui prodiguant divers mots « de mère », et lui promettant de lui préparer son plat préféré du poulet au gingembre. En revanche, l’interprétation de Vendredi, l’un des singles du dernier album, nous a paru un peu moins marquante que sur l’album.

Malik Djoudi Centre des Bords de Marne 03Mais le meilleur réside, évidemment, dans le single éponyme, Vivant : une chanson aérienne, poétique, métaphysique et… complètement évidente. Jouée à mi concert après un petit speech d’introduction qui dénote un effort pour créer un lien avec le public (« Je me suis beaucoup cassé la gueule, et relevé » confesse-t-il dans un phrasé un peu mécanique, mais sincère et touchant), Vivant fait se lever toute la salle : c’est « le » tube de Malik Djoudi, pour lequel on aurait rêvé meilleur sort commercial, mais qui nous accompagnera longtemps, et l’accompagnera sans doute lui aussi. On imagine très bien cette chanson avoir une deuxième vie, sur des BO de films français plus ou moins naturalistes, pas forcément subventionnés par le Canal+ de Bolloré, par exemple… et c’est tout le mal qu’on lui souhaite, à vrai dire !

Le chanteur n’oublie pas non plus  de mettre en valeur les pépites de ses trois premiers albums. S’il ne retient du lointain Un que la seule Sous garantie, c’est pour mieux l’honorer avec une outro d’une minute revisitant le Freaks de LFO dans une orgie électro bien sentie. Dans l’album précédent, Troie, manquant d’aspérités, il pioche tout juste juste deux chansons, enchaînées en début de concert, les ciselées Point sensible et Vertiges (sa « première chanson d’amour, après [son] premier chagrin d’amour à 11 ou 12 ans », sourit-il), sur laquelle l’évocation de Bashung est difficile à éviter. Mais une place de choix revient surtout à celles du deuxième album Tempéraments (2019), l’album de l’explosion artistique, avec trois chansons, dont Tempérament, peut-être sa première grande chanson, d’une simplicité et d’une force inouïes, concluant le set en beauté, et Autrement, en faisant de même pour la soirée avec son groove classieux, toute en densité, sur ce fil du discours de la méthode amoureuse, en conclusion d’un rappel de trois titres. Il faut en dire un mot, d’ailleurs, de ce rappel : trois chansons, trois moments bien distincts, tous très forts. Outre la magnifique Autrement, Epouser la nuit (également sur Tempérament, afin que cette phrase contienne le maximum d’adverbes en « -ment »), est interprétée par Malik Djoudi seul au clavier dans un moment suspendu, avant une version inattendue de Lettre à France de Polnareff, qui fait chanter doucement le public. Soyons honnêtes : on aurait préféré James Blake ou Portishead pour le choix de la cover, mais ce choix a le mérite de délimiter le périmètre et d’identifier les références du chanteur.

Debout définitivement, le public francilien peut applaudir chaleureusement Malik Djoudi et son groupe, à l’issue d’une heure vingt d’une belle tenue, forts ensemble d’une certitude :  « J’suis enfin vivant / Vivant comme je l’aime / Vivant comme je t’attendais / Vivant comme je l’aime… »

Jérôme Barbarossa

Malik Djoudi au Centre des bords de Marne (Le Perreux-sur-Marne) dans le cadre du Festival de Marne
Production : W Spectacles
Date : le vendredi 17 octobre 2025

Malik Djoudi et son groupe seront en concert à Paris à l’Olympia le 21 novembre (places assises complètes, il reste des places en fosse), et en tournée en France : toutes les dates sur malikdjoudi.com

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