Pas de romance à la noix de coco ni de bronzette sur cette île des Shetland où Carys Davies installe son viking mutique et un pasteur mal chaussé. Éclaircie est un roman rugueux et poétique sur la solitude, l’expropriation et l’amitié improbable, balayé par les vents et la grâce.

Ivar vit seul sur une île des Shetland qui n’est pas paradisiaque. L’avantage, c’est qu’il ne risque pas de conflit de voisinage. Comme la baignade s’apparente à une séance de cryothérapie et que les vagues ne sont pas propices au paddle-yoga, ce petit coin hostile au all-inclusive, ne peut attirer que des ermites masochistes, des moutons pour gros pulls qui puent, des recenseurs payés pour compter les oiseaux de mer, et … Sylvain Tesson pour escalader quelques falaises, s’assoir face à l’horizon pour écrire des pensées iodées et faire quelques photos pour Le Figaro.
Le récit du quotidien d’une espèce de viking sédentarisé du milieu du 19ème siècle qui passe ses journées à tricoter de la laine de mouton et à s’estourbir de tourbe sous la tempête, depuis que les derniers membres de sa famille de paysans écossais ont déserté cette île, pourrait effaroucher le lecteur.
Heureusement, Ferguson un pasteur un peu pasteurisé débarque sur l’île avec pour mission, non pas d’évangéliser le sauvage, mais de lui annoncer qu’il est exproprié de son rocher natal. C’est la braderie de l’île, avec les moules mais sans les frites et les assiettes ébréchées.
N’est pas huissier qui veut, et l’opération ne va pas relever de la simple formalité administrative. L’îlien parle le Norne, langue scandinave agonisante, ce qui ne facilite pas les échanges et Ferguson a oublié ses chaussures de rando. Un lien fort va se nouer entre les deux hommes dans cette nature sauvage qui comble le manque de personnages secondaires. Chercher la femme, me direz-vous ? Eh ben non, c’est la femme du pasteur qui va partir à la recherche de son mari ne le voyant pas revenir. C’est l’île ou elle.
Carys Davies partage son gout d’une nature qui n’est pas taillée sur mesure, des personnages contemplatifs qui s’aventurent vers l’inconnu, des descriptions immersives et oniriques. C’est cette prose délicate et envoutante que j’avais aimé dans son premier roman West, et que j’ai retrouvé avec plaisir dans cette Eclaircie.
Pourquoi ce titre « à la Evelyne Dhéliat » alors que les Shetlands ne sont pas réputées pour l’indice UV ? La référence est subtile car elle évoque les « Highland clearances », une politique de déplacements forcés de paysans par de grands propriétaires terriens pour l’élevage intensif de bétail.
L’auteure intègre aussi dans cette fiction un autre basculement historique authentique : un schisme au sein de l’Eglise presbytérienne écossaise. Plusieurs centaines de pasteurs firent sécession, pour s’opposer, non pas à la suppression de jours fériés glandés, mais pour s’opposer au droit des mêmes grands propriétaires terriens de nommer les bergers des paroisses. Piston divin.
Ma foi, intérêt historique, poésie de la nature, originalité du récit, pas besoin de clim, personnages torturés, amitié pas si virile, je ne peux que propagander ce roman. Vous pouvez sortir les chaloupes.
Un bémol à l’attol, un happy end trop happy qui dérive un peu le récit. Mon butin de cette île sans trésor.
Olivier de Bouty