Rétrospective Raymond Depardon : Le roi de l’évasion

Plus grand documentariste, et photographe, français vivant, Raymond Depardon est à l’honneur cet automne, avec le début d’une rétrospective intégrale de son œuvre de cinéaste. L’occasion de se replonger, ou de découvrir, un continent bien vivant, comme son auteur.

Rétrospective Raymond Depardon

Cet automne marque le lancement d’une grande rétrospective de l’œuvre cinématographique de Raymond Depardon, et rien ne pourrait nous mettre plus en joie. L’homme, qui a connu certes tous les honneurs, s’est fait discret ces dernières années, et on peut raisonnablement penser que, à 80 ans passés, sa carrière artistique, photographique comme cinématographique, terminée, à tout le moins largement derrière lui. Il est venu le moment des bilans, et c’est quand même mieux du vivant de l’auteur.

retro Raymond Depardon-PaysanBeaucoup a été dit sur le gamin de Villefranche-sur-Saône, le fils d’agriculteur, qui, au culot, va décrocher un stage de photographe qui va changer sa vie, monter à Paris, puis le grand photographe des tracas du monde chez Gamma (qu’il co-fonde) et Magnum, l’amoureux du désert, de l’Afrique et plus spécialement de l’Ethiopie, enfin le cinéaste, développant une œuvre essentiellement documentaire, reconnue et depuis bien longtemps « coffrétisée » en DVD. A présent, cette double actualité, à l’occasion d’un hommage rendu jusqu’au 25 octobre au Festival Cinémed à Montpellier, puis d’une rétrospective intégrale étalée sur plusieurs mois et dans toute la France, n’a pas vocation à être un tombeau. Elle est un moment qui doit être vivant, autour de cette œuvre vibrante, en étant d’abord l’occasion d’une prise de recul, avec sa fidèle collaboratrice et compagne Claudine Nougaret et lui, en sa présence, pour les heureux cinéphiles montpelliérains, et de nombreuses séances autour des films animés dans les cinémas art & essai qui vont les programmer (dont le Reflet Médicis à Paris qui accueillera par exemple Cédric Klapisch, Marion Vernoux, Laurent Delmas… : https://dulaccinemas.com/article/retrospective-raymond-depardon-cycle-citoyen/208743). Elle sera, aussi, on l’espère, l’occasion pour des jeunes générations, de découvrir l’œuvre documentaire de Depardon, qui est tout simplement matricielle, écrasante même à sa façon, incontournable en tout cas pour les cinéphiles, les amateurs de « docus » et aussi les cinéastes amateurs en la matière. Les plus grands documentaristes du pays se sont tous nourris à celle-ci, à commencer par Nicolas Philibert, dont les films sur les institutions psychiatriques, à la clinique de la Borde en premier lieu, pour sidérants qu’ils soient, s’inscrivent dans cette matrice, en  l’occurrence San Clemente, « asile », comme on disait à l’époque, située dans la lagune de Venise.

La comparaison a souvent été faite, et Depardon de sans doute la déplorer comme trop systématique, sans pouvoir la renier, avec l’œuvre de Frédérick Wiseman. Comme le grand cinéaste de Boston, Depardon a utilisé le langage du cinéma direct, avec caméra à l’épaule, absence de voix off comme de musique additionnelle, avec pour seule subjectivité celle du montage et du choix des séquences. Comme Wiseman, Depardon a filmé institutions, autorités, lieux de pouvoir, politiques en campagne et pauvres hères, les laissés-pour-compte des 30 Glorieuses et de la société de consommation. Mais s’arrêter là, ce serait nier la spécificité de Depardon : d’abord, tout bêtement, Depardon est un cinéaste français (qualité que peut par ailleurs revendiquer Wiseman pour la dernière partie de sa carrière), filmant dans notre pays, les structures sociales et de pouvoir de celui-ci, et, par définition, tout bêtement, nous parle d’autant plus, nous touche plus simplement. Enfin mince, quoi, c’est notre pays, dont on montre les marges, les limites, les béances, le spectacle parfois indécent du pouvoir à deux pas de lieux de misère où l’on essaye de faire l’ordre et la justice, de réparer les vivants, souvent avec des moyens de fortune. Notre pays dont on nous renvoie le reflet dans un miroir à peine déformé, qui foudroie, pas toujours glorieux, mais si souvent étonnant.

Et si Depardon nous touche, c’est aussi car il est un cinéaste qui a fouillé son terreau autobiographique, que ce soit dans ce désert où il est s’est tant retrouvé (La Captive du désert, un de ses trois films de fiction réalisés, avec Sandrine Bonnaire, autour de la prise en otage de Françoise Claustre), ou dans la recherche de ses racines paysannes, avec la série emblématique des Profils paysans, trois films qui filment, chacun à une décennie d’écart, la lente transformation du métier et la disparition aussi d’une certaine « paysannerie », le terme de « paysans », un peu désuet, étant utilisé à dessein par le cinéaste. Des films qui ne peuvent que toucher profondément beaucoup, beaucoup de monde, tant la France est un pays qui a des racines rurales, dont on n’est jamais très loin, dans l’espace ou dans le temps. Des films qui enregistrent les traces de ces agriculteurs âgés, vieux garçons, qui n’ont pas eu de vie, ne connaîtront pas l’appui de l’IA pour bouleverser et améliorer leur quotidien, mourront dans un célibat scandaleux, entretenu par un labeur incessant. Des portraits de la France du 19ème siècle alors que nous sommes toujours au 20ème siècle. Il faudra revoir ces Profils paysans pour voir ce qu’ils nous disent, à nous, désormais en 2025. Ce sera la 3ème tranche de cette rétrospective intégrale, début mars 2026.

retro Raymond Depardon-CitoyenAvant cela, le cycle « Depardon Citoyen », l’inaugure, ce 22 octobre, avec la ressortie en salles de ses films sur les institutions, police, justice, hôpital : en sus de San Clemente, tourné en Italie, il sera possible de découvrir ou redécouvrir Urgences, Faits divers, Muriel Leferle, Délits flagrants, 10ème Chambre, Instants d’audience et 12 Jours (de retour dans l’univers psychiatrique, pour ce qui est son dernier film réalisé à ce jour, en 2017). Pour les non-initiés, c’est le gros de l’œuvre, ce qu’elle contient de plus saisissant, une porte d’entrée idéale, même si le découpage thématique opéré est discutable, comme tout découpage de ce type. Plus tard, en février, « Depardon Photographe » (Numéro Zéro, Reporters, 1974, une Partie de campagne, Les Années Déclic, Paris, Journal de France, Les Habitants) restituera l’œil de Depardon, immersion dans les univers de la photo, des média, du spectacle de la campagne présidentielle (de VGE, son Kennedy à lui), ou même de sa France à lui et de ses habitants. Une occasion de relire l’œuvre par le prisme de l’autobiographie, mais aussi par celui de sa personnalité, de ses valeurs, et aussi, de son ironie, discrète et parfois mordante (avec des personnages comme VGE ou Chirac, dans Reporters, on ne peut que l’être même en témoin factuel et distancié des actions et événements). Enfin, « Depardon et l’Afrique », fin avril, reviendra sur son amour de l’Afrique, et sur son interrogation quant à la place et la responsabilité du regard occidental, posé sur un continent paupérisé et livré aux conflits, aux prises d’otages, dans ce 20ème siècle difficile. Ce sera l’occasion de voir ou revoir le monumental Afriques, comment ça va avec la douleur ? ainsi que ses trois fictions (concentrées sur cette thématique) La Captive du désert, Empty Quarter et L’Homme sans l’Occident.

On espère également que la rétrospective, outre les 21 longs-métrages, sera l’occasion de redécouvrir les courts-métrages, plus méconnus, de l’homme de Villefranche-sur-Saône, et qui constituent un continent à eux tous seuls (32 au compteur, du Yémen à David Lynch, en passant par la Promenade des Anglais, Patti Smith, et Prague pour l’hommage à Ian Palach qui venait de s’immoler). Ceux-ci figurent au menu officiel, sans que leur programmation effective, par telle ou telle salle, soit claire. Mais, surtout, on espère qu’elle nous donnera, en 2025, de nouvelles raisons d’être interpelé, ému ou scandalisé par ces visions saisissantes de cette France d’avant qui s’éloigne lentement, si loin, si proche… Que l’on ait déjà vu la plupart des films de Depardon, ou que l’on découvre ce continent cinématographique.

Jérôme Barbarossa

Rétrospective Raymond Depardon – début à partir du 22 octobre 2026, avec le cycle « Depardon Citoyen » : en ressortie, San Clemente, Urgences, Faits divers, Muriel Leferle, Délits flagrants, 10ème Chambre, Instants d’audience et 12 Jours.
Distribution : Les Films du Losange

Toutes les informations sur : https://depardoncineaste.com/

Toutes les informations sur la rétrospective, en présence de Raymond Depardon et Claudine Nougaret, au Festival Cinémed à Montpellier, jusqu’au 25 octobre : https://www.cinemed.tm.fr/

Toutes les informations sur les séances à Paris, au Reflet Médicis, dont de nombreuses séances spéciales : https://dulaccinemas.com/article/retrospective-raymond-depardon-cycle-citoyen/208743

 

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