Drame post-apocalyptique, récit cyberpunk hallucinatoire et quête philosophique, La vieillesse de l’axolotl de Jacek Dukaj raconte un avenir où les êtres humains n’existent plus que comme consciences numérisées et transplantées dans des robots, mais continuent quand même à se poser des questions humaines et à se comporter comme des humains. La condition posthumaine est très humaine !

Jacek Dukaj a la réputation d’être l’héritier de Stanisław Lem, et la star de la science-fiction polonaise. Difficile d’en juger jusqu’à il y a peu pour nous autres francophones puisque ce vieil axolotl (the old axolotl est le titre anglais du roman) est le premier de ses écrits traduits en français. On avait manqué la publication en grand format en octobre 2024. Rattrapons-nous avec la publication de la version poche ! Parce que ce vieil axolotl est complètement délirant, passionnant, drôle. Et une vraie expérience de lecture. Persuadé que les e-books actuels ne dureront pas, Jacek Dukaj a pensé ce roman pour ne pas être imprimé. À l’origine, c’est-à-dire en 2015, La vieillesse de l’axolotl est un roman numérique, prévu pour tablettes, ordinateurs, etc., le roman incluait des liens hyper-textes, et contenus hyperactifs. Un roman post-humain, post-littérature d’une certaine façon — si on y réfléchit bien, c’est le format utilisé par les magazines, quotidiens ou autres sites en ligne appliqué à un roman et poussé un peu plus loin. Un roman pour celles et ceux qui ont oublié ce qu’est le papier ou qui pensent que c’est mieux de ne pas en utiliser. Comme le site culture.pl l’a écrit, un livre sans papier pour un monde où les humains n’ont plus de corps.
C’est le cas du héros, Greg : informaticien polonais, il parvient in extremis à se sauvegarder et se « réveille » à Vladivostok. Comprenant qu’il n’est plus qu’une suite de zéros et de uns, il cherche à retrouver une forme physique et s’implémente dans un robot. Seule différence avec le monde d’avant : les humains du monde d’après ont un corps métallique. Et… rien ne change. Le message est clair. C’est à la fois drôle et vertigineux, parce que cela pose, sous une forme neuve, une question très ancienne : qu’est-ce qui définit un être humain ? Un robot habité par une conscience humaine reste-t-il un humain ?
Cette situation donne lieu à des trouvailles souvent réjouissantes : se cloner devient aussi simple que copier un fichier, se jeter d’un immeuble n’a plus rien de fatal, mourir et renaître sont presque banals. Pas besoin de manger, mais toujours besoin de pièces de rechange ! Même après l’apocalypse, même réincarnés — si l’on peut dire — dans des carcasses de métal, les humains restent fidèles à eux-mêmes : ils se regroupent, se battent, tentent de dominer les autres. Certains rêvent même de recréer la vie biologique, pour tout recommencer… Et l’on se demande si ce monde de circuits et de données est vraiment si différent du nôtre, où nous passons déjà des heures immergés dans les univers virtuels.
La vieillesse de l’axolotl est donc à la fois une expérience littéraire et philosophique. Le rendu sous format papier est peut-être moins intéressant que la version numérique, mais c’est très bien fait. Il y a des notes, des inserts, des dessins, un cahier en couleur avec les illustrations originales. On peut suivre l’histoire en se perdant dans les notes ou pas (ce n’est pas toujours indispensables à la compréhension). On peut se perdre dans les réflexions philosophiques, ou pas ! On peut simplement se laisser prendre par les aventures de Greg et ses mechas, des guildes et de leurs luttes, se désespérer de l’humour (noir) du roman, s’en réjouir. C’était une vraie bonne idée que de traduire (enfin) ce vieil axolotl en français ! Il était temps.
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Alain Marciano
