Le roi suédois de la mélancolie jazzy Jay-Jay Johanson est toujours là, dans nos vies, trente ans après ses débuts avec son premier album imparable. Et il était sur scène à Paris, lundi dernier, un soir de pluie.

Il est apparu il y a presque trente ans, avec un premier album improbable, et imparable : Whiskey mélangeait beats légers de trip hop, mélodies jazzy, easy-listening, ou parfois simplement pop, sur fond d’héritage de Burt Bacharach, textes hauts en couleur et marquants (So Tell The Girls I am Back in Town…), amplifiés par la voix de crooner de ce grand échalas suédois. Tout cela n’avait pas grand sens, et c’est peut-être pourquoi cela fonctionnait aussi bien. Trente ans après, ce n’est toujours pas l’heure du bilan pour Jay-Jay Johanson, qui aligne à présent quinze albums. Le dernier en date, Backstage, paru au printemps, est, comme souvent, beau, mélancolique, aérien, à l’inverse de sa pochette minée par la grisaille d’une arrière-cours londonienne. Et son fidèle public de le suivre, notamment en France : la très belle salle du Trianon à Paris, dans sa configuration assise, affiche complet ce soir depuis plusieurs semaines.
A Benzine, nous appelions de nos vœux un retour rapide du crooner suédois dans la capitale, après sa dernière prestation dans une salle parisienne d’envergure, à l’Elysée Montmartre il y a deux ans pile-poil. L’écrin écarlate du Trianon, en mode assis, était un choix plus approprié, pour son public comme pour l’artiste et son groupe, et à même de nous rassurer, Jay-Jay ne nous ayant par ailleurs jamais quittés, tant la capitale est gratifiée en général d’un à deux showcases annuels, à des occasions diverses.
A 20h55, avec 5 minutes de retard sur l’heure théorique, notre grand échalas favori, s’avance à pas feutrés, avec son groupe exclusivement masculin, le fidèle Erik Jansson (claviers/piano) étant accompagné d’un contrebassiste (Geoffroy Jeff Tekeyan) et d’un batteur (Frédérick Wennerlund). Tout de noir vêtu, comme sur la majorité des pochettes des albums, Jay-Jay Johanson se meut sur scène tel un albatros, déployant ses ailes, et s’éloignant près du backstage, voire sortant de scène, de temps en temps, puis se rabattant sur le micro dès que nécessaire. Mais ce qui marque le plus, c’est que Jay-Jay boit, souvent, entre les morceaux, pendant les morceaux, c’est tout juste s’il ne boit pas quand il chante. Whisky ? Coca ? Whisky-coca ? Le doute est permis, en tout cas, sans doute plus que de raison, avec parfois quelques rations d’eau minérale en plus. On salue la grande performance physique pour tenir ainsi 1h35 non-stop en scène, quand bien même les effets diurétiques des substances absorbées sont potentiellement moindres que pour la bière !
Ce soir, c’est à un concert « best-of » que nous a conviés l’artiste, un voyage dans le temps, et dans son répertoire, depuis ses débuts, selon une formule en vigueur pour ses concerts depuis quelques années. Pas de surprise, donc, pour celles et ceux présents à l’Elysée-Montmartre en 2023, par exemple. Le dernier album Backstage se réduit à trois extraits, la chanson-titre et Ten Little Minutes en début de concert, l’ample et douloureuse, mais aussi ironique, How Long Do You Think We’re Gonna Last, vers le milieu. Au rayon nouveautés, sera également joué le dernier single (un peu mineur) Seven&Five (Where’s the Cat ?). Mais, avec pas loin de la moitié des chansons, l’accent est surtout mis sur les trois premiers albums (Whiskey, Tattoo et Poison, publiés de 1996 à 2000) qui sont, peut-être, en effet, les trois meilleurs du chanteur, son feu d’artifice créatif originel. Quant à l’entre-deux (de 2000 à 2024), le chanteur suédois ne le renie pas, en piochant dans plusieurs albums choisis, avec un focus notable sur le récent Kings Cross (2019), avec quatre chansons : les efficaces Not Time Yet et Smoke, en début de concert, la rare Niagara Falls et la très ludique Heard Somebody Whistle, sur laquelle il fait chanter son groupe et le public vers la fin du set. En creux, la setlist, à l’image de sa discographie, accuse un ventre mou, surtout pour les albums publiés entre 2005 et 2017.
Nous retiendrons surtout les versions savoureuses de Finally (sur le récent Fetish, 2023) ouvrant le show, de la brillante Far Away musclant le jeu et faisant décoller vraiment le concert, de la bouleversante Alone again, et, pour conclure le set, de l’amusant Heard Somebody Whistle, et du bouleversant Believe In Us, concluant le set au piano. Impossible de ne pas être touché non plus par les « mini-tubes » historiques So Tell The Girls I Am Back In Town, en deuxième position comme souvent dans ses concerts, et Milan Madrid Chicago Paris, éclair de grâce de l’album Tattoo. Les chansons sont jouées sans beaucoup de fioritures, permettant d’apprécier pleinement la voix de Jay-Jay, restée intacte avec les années, et son atout intemporel. C’est bien sûr d’autant plus visible sur Whispering Words, chantée a cappella en fin de concert dans un moment suspendu, saisissant. Mais, les quelques fois où le chanteur laisse son groupe « surjouer » un peu, comme sur les très jazzy Moon River (variation sur le thème du film Diamants sur Canapé, qui se termine même avec un solo de batterie, pas l’instrument le plus en valeur chez JJJ) et Niagara Falls, terminée en bœuf, le public est également aux anges.

Le rappel sera de haute tenue avec d’abord la reprise de L’amour est bien plus fort que nous de Francis Lai et de Pierre Barouh, en français dans le texte, précédée d’une introduction de Jay-Jay saluant l’inspiration permanente que lui a donnée la France, « Michel Legrand, Francis Lai… »… Puis un retour à l’incunable Whiskey avec un doublé final imparable It Hurts Me So / I’m Older Now. Temps de conclure ? Non, car Jay-Jay, plein d’affection pour le public, voulant « saluer chacun d’entre [vous], qui a j’en suis sûr plein d’histories à raconter, j’ai envie de vous retrouver après le concert au merch ou sur le trottoir… », ne veut pas quitter la scène, salue encore, serre des mains… puis se jette dans la foule pour un slam improbable au son de la reprise de My Way par Sid Vicious, qui clôture pour de bon ses concerts ces dernières années.
Le Grand blond en noir peut à présent vraiment se retirer, repu, fourbu, alors que les premières mesures d’un autre grand tube, dans un autre registre, beaucoup plus électro, le Born Slippy d’Underworld, sonne vraiment la fin de hostilités, les lumières se rallumant doucement dans la salle écarlate, à 22h30 pile. Bourré et heureux, mais pro jusqu’au bout de sa toge noire, Jay-Jay… Si bien que, comme mon camarade Eric l’avait écrit en 2023 après son passage dans la salle voisine du boulevard Rochechouart, on a envie de crier : reviens-nous vite en ville, Jay-Jay !
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Jérôme Barbarossa
Jay-Jay Johanson au Trianon (Paris)
Production : Base Productions
Date : le lundi 20 octobre 2025
Jay-Jay Johanson en tournée en France – prochaines dates : Toulouse (Metronum) le 25/10, Nevers (Festival Nevers A vif) le 28/10, Marseille (Espace Julien) le 29/10, Lyon (Le Radiant) le 30/10, Brest (La Carène) le 31/10.

J’étais au concert de Jay-Jay à Bordeaux (Cenon), ce mercredi 22 octobre. À peu près vingt-cinq années après deux concerts à Barbey (Rock School, Bordeaux) après les albums Tattoo et Poison (un vrai coup de cœur, à l‘époque). À l’époque, les gens avaient mon âge ou un peu moins, chantaient gentiment les chansons avec Jay-Jay, Erik était impassible et tranquille derrière son piano électrique et sa petite voix sur « Mana mana ». Et les autres musiciens bons et très scolaires. Malgré un trou dans les années 2000, j’ai recommencé à écouter et acheter les albums de Jay-Jay. Et là, c’était l’occasion de le revoir en concert.
Entre lundi 20 et mercredi 22 octobre, le contrebassiste a disparu. Bon, on a des séquences envoyées et bien gérées par Erik JANSSON. Erik, justement, est devenu beaucoup plus présent, très à l’aise, emphatique voire charismatique. Le batteur, un nouveau, assez jeune, toujours aussi scolaire, avec ses petites notes pour chaque morceau, comme s’il venait de prendre le poste. As toujours dans le groove pour les impros de fin de morceau, quand Jay-Jay ou Erik s’embarquent dans des petites fantaisies musicales. C’est sympa, ils sont visiblement heureux d’être là avec nous, le batteur, par contre, a un peu de mal à tout comprendre. Mais ça passe.
Et surtout, les morceaux des derniers albums sont toujours aussi beaux, profonds et tristes. Et, en effet, Jay-Jay a gardé cette voix magnifique, douce, maîtrisée.
Un conseil, allez le voir et l’écouter en concert.
Bonjour Joël, merci pour votre commentaire et ces compléments très intéressants. Je suis étonné de voir que le contrebassiste était « réservé » au concert de Paris si je comprends bien !… (ainsi qu’une setlist un poil plus fournie à Paris, mais l’écart avec les concerts en province n’était pas énorme non plus) La batterie n’est pas le poste le plus passionnant chez JJJ… mais il en faut un ! En tout cas, heureux de voir que vous avez passé un bon moment. Pour tout dire, mon expérience est proche de la vôtre, ayant souvent remisé ces dernières années de le revoir, alors que j’avais continué à suivre sa carrière, et vraiment bien renoué ces dernières années avec sa discographie. En tout cas, son succès, même si relatif par rapport aux « grosses machines », et notable en France, comme sa durée, sont réjouissants. Et mérités.
Juste pour ajouter que Jay-Jay JOHANSON était venu une première fois à Barbey à la sortie du premier album. Je n’y étais pas, mais, il y avait déjà une bonne aura pour lui.
Juste pour ajouter : Je ne sais pas si Jay-Jay a fait sa setlist en pensant Paris et Province. Personnellement, je l’ai simplement vu à Bordeaux, pas en Province.
Bien envoyé ! Comme quoi, on a quelque fois des raisonnements de parisiens, soyons vigilants ! :)
Ahlala, bon, vous savez, je suis provincial moi aussi, je trouve que c’est un joli mot, comme la province, d’ailleurs. Et même pire, je vais vous dire, j’ai fait mes classes à Toulouse. Au Bikini. La province, quoi. On peut s’y sentir bien.