En retraçant le parcours tourmenté de Fatima, une adolescente de banlieue, La petite dernière témoigne de la difficile acceptation de son homosexualité quand on est constamment soumis aux injonctions de la société et de la religion. L’histoire d’une douloureuse émancipation en même temps que le portrait sensible et délicat d’une jeune fille qui vit dans la culpabilité ses premiers émois sensuels et amoureux.

Dans la droite filiation de La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche (qui la révéla en 2007 dans La Graine et le Mulet), Hafsia Herzi réalise, avec La petite dernière, un film d’apprentissage retraçant les douloureux questionnements de Fatima, une jeune musulmane, qui, l’année du bac, prend conscience de son homosexualité. Tiré d’un roman autobiographique de Fatima Daas paru en 2020, il la montre, déchirée entre ses désirs et sa foi, découvrir les milieux lesbiens et connaître ses premiers émois amoureux et sensuels : l’histoire, d’un printemps à l’autre, d’une difficile émancipation.
Un appartement de banlieue parisienne dans une barre de HLM. Une famille musulmane traditionnelle et chaleureuse où les conversations vont bon train autour des gâteaux préparés par une mère aimante (Amina Ben Mohamed). Fatima, 17 ans, est « la petite dernière » de trois filles et s’apprête, à la suite de ses soeurs, à passer son baccalauréat. Sportive, introvertie et bonne élève, son seul souci paraît être son asthme, symptôme du tourment qui l’empêche de respirer la vie à pleins poumons. Elle a un petit ami caché qui voudrait bien l’épouser, une perspective qui ne semble guère l’enchanter. Sur une appli de rencontres, c’est avec des femmes qu’elle prend rendez-vous et avec qui elle s’invente une autre identité, une autre famille…
Comment se libérer des préjugés et des tabous qui entourent l’homosexualité ? Si les adolescents se font forts de tenir des propos très crus sur un mode rigolard, ils n’hésitent pas, dans les couloirs agités du lycée, à traiter l’un de « pédale » et l’autre de « lesbienne », ce qui débouche immanquablement sur une bagarre. Comment dans ce contexte, Fatima qui, de plus, est une musulmane pratiquante, pourrait-elle vivre librement sa sexualité et en parler à ses parents ? Comment pourrait-elle ne pas se sentir coupable d’être attirée par les femmes ? Consulter l’imam de la mosquée de Paris ne fera que la conforter dans le sentiment de sa déviance et aggraver sa honte.
Hafsia Herzi a eu l’intelligence de situer son film à ce moment charnière qui est à la fois celui où Fatima se reconnaît en tant que lesbienne et celui où, le bac en poche, elle entame des études de philosophie et découvre la vie de l’autre côté du périphérique. Là voici désormais coupée en deux : en opposition avec son existence contrainte de banlieusarde, elle découvre les amphithéâtres studieux où l’on écoute la parole du professeur, les appartements bourgeois, les cafés, les boites de nuit où l’on clame sa fierté d’être lesbienne et où les corps des femmes vibrent de sensualité. Autant de lieux synonymes de liberté où, peu à peu, loin de sa banlieue, Fatima trouve le courage d’affirmer son identité.
Le film doit beaucoup à son interprète principale, Nadia Melliti, qui prête à Fatima un visage grave, fermé, que l’on verra peu à peu s’éclairer. Hafsia Herzi la filme au plus près, avec pudeur et tendresse, dans ces beaux moments où elle fait ses ablutions, ceux où elle identifie ses désirs, s’y abandonne, ceux où elle laisse transparaître ses tourments intérieurs. Elle suit avec pudeur les étapes de son émancipation, dont certaines sont assez convenues – les soirées festives lesbiennes-, d’autres beaucoup moins – la leçon de sexe faite de mots sans détours mais emplie de douceur que lui dispense une femme bien plus âgée qu’elle dans sa voiture. Elle s’attache aussi à montrer avec délicatesse les élans et déchirements de l’histoire d’amour qui naît entre Fatima et Ji-An (Ji-min Park).
Sur un sujet périlleux, Hafsia Herzi a fait un film juste et sensible où à des acteurs professionnels se mêlent des non professionnels, comme Nadia Melliti. Histoire d’une acceptation de soi qui reste pourtant inavouable, La petite dernière suit un cheminement intérieur où la culpabilité, rendant toute révélation impossible, enferme la jeune fille dans sa solitude et sa détresse. On se souviendra longtemps de la magnifique scène, tout en tension et en tendresse, qui unit, au-delà des mots, Fatima et sa mère autour du poids d’un secret dont on se dit qu’il est, peut-être, déjà éventé.
![]()
Anne Randon
