Alors que le gouvernement actuel semble plus préoccupé par sa survie que par le bien-être des citoyens, cet ouvrage salutaire remet sur le devant de la scène la question de notre alimentation liée aux pratiques agricoles. Ce qui tombe bien, parce que, plus que jamais, l’urgence demeure…

La terre qui nous nourrit est en danger. C’est sur ce constat alarmiste qu’est né ce projet de bande dessinée initié par Hugo Clément. Accompagné de Vincent Ravalec pour la narration et de Dominique Mermoux pour le dessin, le journaliste nous fournit un état des lieux sur la situation de l’agriculture en France, en pointant du doigt les pratiques néfastes de l’agro-industrie. Il propose également des pistes pour en sortir, en citant des initiatives heureuses et pragmatiques qui pourraient permettre à tout citoyen de se nourrir de manière saine. Un ouvrage pédagogique à mettre entre toutes les mains, et surtout celles de nos politiques.
Ce n’est certes pas avec cet ouvrage qu’Hugo Clément va se faire de nouveaux amis à la FNSEA et chez les lobbyistes de l’agro-industrie. Il n’a pourtant pas vocation à créer la polémique mais à exposer une situation de manière très factuelle, mais qui ne convient pas à ceux pour qui la priorité est de faire passer leurs bénéfices au mépris de la santé du consommateur.
Le paradoxe de l’abondance, comme le dit lui-même le journaliste et militant écologiste, c’est qu’ « on produit énormément de nourriture, ce qui est très bien parce qu’on a beaucoup de gens à nourrir, mais on la produit d’une manière qui n’est pas durable », selon « un modèle agricole qui n’est pas orienté vers les bonnes productions ». Surexploités, les sols sont de moins en moins fertiles et la biomasse (masse totale d’organismes vivants) se dégrade de façon inquiétante, concernant 89% des terres agricoles ! Et comme si cela ne suffisait pas, les pesticides et les engrais chimiques comme les nitrates se diffusent dans l’air et dans les nappes phréatiques, augmentant les risques de cancer.
Pour mieux nous faire comprendre ce qui a créé cette situation, l’ouvrage remonte aux origines de l’agriculture, à partir du moment où les sociétés nomades de chasseurs-cueilleurs ont commencé à se sédentariser, puis aborde la question de l’eau, qui selon un rapport de la commission européenne, est contaminée à hauteur de 60 % dans les pays européens. Autre donnée inquiétante, même la filière bio est menacée par l’absence de volonté politique.
Dans ce contexte où la rentabilité prime, nos laitages et nos fromages tendent à l’uniformisation des goûts, tandis que la vache de race Prim’Holstein (celle que l’on voit en couverture avec ses pis surdimensionnés) remplace peu à peu toutes les espèces régionales, dont certaines sont même en voie de disparition. Est également abordé la question de la souffrance animale liée à ce type de production, autre cheval de bataille d’Hugo Clément.
Le livre se conclut sur du positif même si le combat est loin d’être gagné. Sont évoquées quelques initiatives porteuses notamment la réussite (encore trop rare) d’un maraîcher bio ou l’introduction du bio dans des cantines. Les auteurs nous livrent également des pistes pour nous permettre d’agir à notre niveau, car en tant que consommateur, nous avons aussi ce pouvoir d’infléchir les décisions politiques en privilégiant par exemple la production locale.
Le Paradoxe de l’abondance est loin d’être un ouvrage déprimant, bien au contraire. Le dessin à l’aquarelle de Dominique Mermoux, qui a mis en image une autre BD parue récemment sur un thème très proche, Et soudain le futur, est très appréciable et accompagne parfaitement ce type de contenu.
Ce livre, porté par un des journalistes les plus populaires dont on ne peut mettre en cause le sérieux des enquêtes, a également le mérite d’être très accessible. Bénéficiant d’une narration bien structurée et extrêmement fluide, il ne fera que renforcer la conviction de ceux depuis longtemps sensibilisés par le sujet et pourrait toucher également un public habituellement moins concerné… On aimerait aussi qu’il puisse surtout réveiller les consciences de nos dirigeants, encore largement soumis aux diktats imposés par l’industrie agro-alimentaire et certains syndicats qui n’existent que pour défendre les intérêts de l’agriculture industrielle, au mépris des petits paysans qui s’efforcent de respecter la nature et l’assiette du consommateur.

Laurent Proudhon
Le Paradoxe de l’abondance
Scénario : Hugo Clément et Vincent Ravalec
Dessin : Dominique Mermoux
Editeur : Dargaud
160 pages – 22,95 €
Parution : 3 octobre 2025
Le Paradoxe de l’abondance — Extrait :


