Nos 50 albums préférés des années 70 : 48. XTC – Drums and Wires (1979)

Pas forcément les « meilleurs » disques des années 70, mais ceux qui nous ont accompagnés, que nous avons aimés : cette semaine, Drums and Wires, un album de transition, donc passionnant, dans la carrière d’un groupe pop littéralement essentiel, XTC !

XTC

Pour les amateurs de vraies « pop », dans le sens classique du terme, XTC est un groupe que l’on place facilement au niveau des Beatles ou des Beach Boys, et dont la discographie est un enchaînement ininterrompu de merveilles. Un groupe qui n’a pas connu le succès commercial qu’il méritait (mais il y en a tellement dans le même cas !). Mais aussi un groupe qui influence de plus en plus de gens aujourd’hui. Que ce soit ceux qui se réclament de l’orfèvrerie artisanale dans la composition de mélodies raffinées et complexes, ou ceux qui, presqu’à l’opposé du spectre musical, adorent s’inspirer du travail d’Andy Partridge quant il s’agit de créer des dissonances et des ruptures rythmiques pour que leur post-punk reste original et stimulant. Et c’est cette dualité de la musique de XTC, groupe majeur donc des années 70 (et 80, et 90…), qui est profondément passionnante, et qui est parfaitement audible sur Drums and Wires, leur troisième album. Celui qui marque la transition entre la pop punk frénétique de leurs débuts irrésistibles et la splendeur de leur classiques à venir.

Drums and Wires Front CoverEt puis, il y a aussi un souvenir personnel qui m’est cher : le concert donné par XTC à la Beaujoire de Nantes le 14 août 1980, au cours d’un mini festival qui réunissait entre autres The Beat, UB40 et The Police (en tête d’affiche). La façon dont ils ont littéralement atomisé la journée est inoubliable : XTC, c’était véritablement… « autre chose ».

Mais revenons en 1979 : la Grande-Bretagne est encore sous le choc de l’explosion punk, et de manière typiquement « british », la colère brute de la jeunesse s’est muée en ironie, privilégiant l’intelligence comme arme suprême permettant de remettre en question le « système » politique et social du pays. La new wave – au sens noble du terme, dans le même sens que celui de la « nouvelle vague » cinématographique des années 60 – s’est formée. Ce seront, parmi d’autres, quatre jeunes gens de Swindon, XTC, qui seront les plus actifs dans ce travail de redéfinition ce que peut être un « groupe pop » à la fin des seventies, quand la « vague » des révolutions des sixties vient s’écraser sur les murs dressés un peu partout par les réactionnaires : en Grande-Bretagne, Thatcher vient d’accéder au pouvoir (en mai 1979), et les aspirations de la jeunesse vont prendre cher, très cher. Après deux premiers disques excellents (White Music et Go 2), où les claviers psychotiques de Barry Andrews véhiculaient une excentricité provocatrice, sans réussir à cacher pour autant l’éclat des mélodies d’Andy Partridge et Colin Moulding, le départ de l’organiste et l’arrivée du guitariste Dave Gregory changent tout. De plus, le producteur Steve Lillywhite et l’ingénieur du son Hugh Padgham donnent à la batterie de Terry Chambers un rôle central : on est à l’aube du fameux « gated reverb sound », cette ampleur des percussions qui marquera – souvent de manière exagérée – les années 80. Heureusement, le son de Drums and Wires ne tombera pas du mauvais côté de l’emphase, et restera sec, claquant, aérien même.

Drums and Wires Back CoverDrums and Wires – titre parfait pour un album dont le projet est de combiner du rythme et de la tension avec des crises de nerfs et de l’électricité – débute par l’immense, le merveilleux Making Plans for Nigel : ce morceau emblématique, signé Colin Moulding, est une satire brillante de la société britannique en crise. Sur un rythme qui a été conçu pour évoquer le fonctionnement d’une usine, la chanson dénonce le destin tout tracé d’un fils condamné à « être heureux » selon les plans de ses parents et de la compagnie British Steel. Premier grand hit du groupe, Making Plans for Nigel propulse XTC dans le Top 20 britannique et cristallise au vu de tous le projet de Partridge et Moulding : créer une pop moderne, voire post-moderne, « qui danse mais qui pense », une pop ironique, une pop politique, qui ne pouvait voir le jour qu’en Angleterre.

Comme avec Lennon et McCartney avant eux, c’est la « double tête pensante » qui fait et l’originalité et la force du groupe : Partridge et Moulding sont extrêmement dissemblables dans leur approche, ils sont aussi totalement complémentaires. Et ils ne deviendront jamais réellement conflictuels (même si Partridge a peu à peu assumé le « leadership » de XTC).

Drums and Wires Face APour Andy Partridge, les chansons sont des boîtes à malices électriques (voire deviennent des « chaises… électriques », quand il se laisse complètement aller). Pour le comprendre, il suffit d’écouter Scissor Man, par exemple : cette comptine enfantine est transformée en menace adulte, sur un dub sec et paranoïaque. Les riffs sont tranchants, la basse ricoche contre les murs capitonnés d’une cellule d’asile psychiatrique, et le « Scissor Man » rôde. Dans des titres comme Outside World ou, surtout, le formidable Helicopter (je n’oublierai jamais la déflagration de joie et de rage que fut son interprétation à la Beaujoire !), l’Angleterre industrielle déjà mourante est transmuté via un kaléidoscope sonore. Chez Partridge, la modernité est à la fois fascinante et terrifiante. Son jeu de guitare, parfois à la limite de l’expérimental, évoque la marche d’insectes mécaniques. Partridge, réellement visionnaire, dresse dans ses chansons le portrait du monde de demain (le nôtre, aujourd’hui), saturé de signaux contradictoires.

Drums and Wires Face BColin Moulding, en face de lui, est en charge d’apporter la lumière : Ten Feet Tall, véritable baume au milieu de l’univers paranoïaque des chansons de Partridge, est une chanson (plus) simple, acoustique, qui évoque la possibilité fragile de l’amour et de la douceur dans cet univers labyrinthique de béton et de nerfs. Ce sera d’ailleurs Ten Feet Tall que Virgin utilisera comme premier single américain : c’est la preuve que même les majors perçoivent le potentiel d’XTC via une forme de pop universelle (le don mélodique de Moulding) derrière l’étrangeté (l’agressivité de Partridge).

Et puis il y a Complicated Game, qui conclut l’album, et qui porte la charge émotionnelle la plus violente : Partridge y hurle littéralement son impuissance devant l’absurdité de la vie et la malfaisance intrinsèque de la société, jusqu’à la rupture. « A little boy asked me, should he put his vote upon the le-e-ef-ft? / A little boy asked me, should he put his vote upon the ri-ight? / I said, It really doesn’t matter where you put your vote / ‘Cause someone else’ll come along and move it / And it’s always been the same / It’s just a complicated ga-a-ame » (Un petit garçon m’a demandé s’il devait voter à gauche ? / Un petit garçon m’a demandé s’il devait voter à droite ? / J’ai répondu : « Peu importe où tu votes / Car quelqu’un d’autre viendra et changera ton vote / Et ça a toujours été comme ça / Ce n’est qu’un jeu compliqué. ») La tension de Drums and Wires explose, les guitares sonnent comme des scies circulaires, la folie fait rage. C’est l’un des plus grands morceaux de toute la discographie de XTC, mais aussi l’un des moins « plaisants » à écouter.

Si XTC avait choisi de poursuivre la voie indiquée dans Complicated Game, il aurait pu devenir un groupe extrémiste ultime, « à la Throbbing Gristle« . Moulding et Partridge ont toutefois compris qu’ils auraient plus d’impact en développant une pop sophistiquée, qui puisse séduire les amateurs les plus exigeants, mais sans jamais trahir leur destin de funambules, prêts à avancer sur la crête, au bord du désastre.

Eric Debarnot

XTC – Drums and Wires
Label : Virgin
Date de sortie : 17 août 1979

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