« Caracas » d’Olivier Martinelli : à bout de souffle

Olivier Martinelli transpose l’urgence du rock dans un roman tendu comme une corde. Caracas conjugue violence, lucidité et beauté du verbe dans un récit où l’instinct de survie devient poétique.

Olivier Martinelli
Photo : Jean-Luc Bertini

Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un écrivain dans une salle de concerts (rock, je veux dire, j’ai tendance à plus imaginer les écrivains français écumer les concerts classiques, de jazz ou de chanson française). Ni de s’apercevoir rapidement que nous partageons un goût commun pour le Velvet Underground et The Jesus and Mary Chain. Mais c’est encore plus rare de voir ensuite ledit écrivain monter sur scène et nous régaler d’une vingtaine de minutes de spoken word saisissant, accompagné par un guitariste féru de distorsion et un batteur. Je reviens sur cette rencontre avec Olivier Martinelli – qui joue sur scène sous le nom de Marti Nelli – non pas pour faire le malin (encore que…), mais pour expliquer que cette urgence, intrinsèque à une certaine forme de rock, noir et tendu, comme celui des deux groupes dont nous avons parlé ce soir-là, se retrouve clairement dans Caracas, le dernier livre de Martinelli. Et le premier que je lis (et qui ne sera clairement pas le dernier).

CaracasCaracas, pourtant, comme son nom l’indique, se déroule au Venezuela – un pays que Martinelli n’a pas encore visité lui-même, mais sur lequel il a appris beaucoup de choses à travers une amie. Il débute dans la jungle, à travers laquelle fuit le héros du roman (un thriller, donc…), poursuivi par des tueurs à gages bien déterminés à faire leur travail. C’est que le Frenchie – dont on apprendra quand même qu’il était là pour courir un marathon, mais aussi qu’il était militaire, donc bien entraîné – est tombé amoureux de la mauvaise fille lors de sa première sortie dans la capitale vénézuélienne. Et qu’il a alors fâché la mauvaise personne.

N’en disons pas plus, sinon que cette course-poursuite, entre une victime qui s’avère de plus en plus dangereuse et des tueurs professionnels, va constituer la quasi-totalité de Caracas, et que la tension ne se relâchera que de très brefs instants. Débutée dans la jungle, la fuite de notre héros se poursuivra dans les quartiers populaires de Caracas, ce qui permettra à Martinelli de nous raconter, en quelques courts chapitres ultra-violents, les horreurs que Maduro et ses troupes infligent à la partie de la population de son pays qui résiste contre son régime autoritaire et corrompu. Non pas que Caracas soit un livre politique, parce que tout le monde sait bien – hormis peut-être quelques fanatiques qui rêvent encore d’une Amérique latine bolivariste idéale qui n’a jamais existé – que ce qui se passe au Venezuela relève des mêmes horreurs qui sont perpétrées dans toutes les dictatures, de droite comme de gauche, de la Russie à la Chine, en passant par la Corée du Nord, les républiques bananières africaines, et peut-être bientôt les USA.

Caracas se bouclera pourtant par un retour à la jungle – colombienne cette fois – pour nous laisser entrevoir la possibilité, sans doute illusoire elle aussi, d’un éden sauvage, où quelques Indiens qualifiés de primitifs résistent encore à la brutalité de la civilisation. Une manière intelligente de refermer son thriller haletant sur un happy end qui n’en est pas un.

Très noir, très sauvage, très pessimiste, très beau souvent grâce à l’intelligence et la beauté du verbe, Caracas s’avère une lecture rapide, addictive, aussi perturbante qu’elle est… divertissante, dans le bon sens du terme. Une lecture qui nous laisse littéralement à bout de souffle. Et une bonne raison de préférer Martinelli écrivain à Marti Nelli rocker, quels que soient les mérites de ce dernier.

Eric Debarnot

Caracas
Roman d’Olivier Martinelli
Editeur : Kubik
200 pages – 17 €
Date de publication ‏ : ‎ 9 octobre 2025

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