Avec Death & Love, Circa Waves signe un double album euphorique mais introspectif : la pop y devient une réponse lucide à la fragilité de la vie, faisant suite à l’accident cardiaque de leur chanteur…

Depuis 2013, les Liverpuldiens de Circa Waves n’ont certainement jamais cherché à bouleverser la brit pop, mais plutôt à en prolonger la tradition, comme l’ont fait il y a deux décennies des Kaiser Chiefs, des Wombats ou des Two Door Cinema Club. C’est-à-dire à la maintenir en vie dans un environnement qui lui est passablement hostile, à coups de refrains immédiats, de guitares énervées, et d’une sorte de joie de vivre non dénuée d’un sentiment d’urgence. Du coup, en dix ans, personne ne les a pris réellement au sérieux. Un souci que la volatilité de la qualité de leurs albums – il y a des hauts et des bas dans leur discographie, il faut bien le reconnaitre – n a pas aidé a résoudre.
Les choses pourraient bien changer avec ce Death & Love qui, dans un genre musical devenu une petite niche (pour un gros chien), marquera sans aucun doute l’année 2025. Il s’agit indiscutablement d’un album qui réussit, fait rare, à jouer sur deux tableaux : celui de la confession intime comme celui des mélodies glorieusement fédératrices. Sorti en deux temps (Part 1 en janvier, et Part 2 en octobre), ce disque est la conséquence d’une sérieuse alerte cardiaque qu’a connue Kieran Shudall, le leader du groupe, opéré d’urgence en 2023 pour le blocage d’une artère. D’une manière très logique, cette grosse alerte a amené Kieran à réfléchir au sens de la vie, ce qui ressemble à un cliché, mais l’un de ces clichés qui font totalement sens quand, à un jeune âge, on réalise que la vie n’a rien dune évidence.
Du coup, Circa Waves, groupe facilement réductible à la facilité de ses jolies mélodies, se trouve lesté d’une maturité nouvelle. Ce qui ne veut pas dire que Shudall et sa bande n’ont plus envie de nous faire chanter en chœur avec eux ou pogoter frénétiquement devant la scène : au contraire, l’un des messages que Death & Love veut nous transmettre, c’est bien que la joie n’est pas une évidence vaguement niaise, mais au contraire une victoire sur l’adversité. Une victoire qu’il convient de célébrer avec tout l’enthousiasme qu’elle mérite !
Dès la première moitié du disque, celle consacrée à « l’amour », retrouve tout ce que Circa Waves sait faire de mieux, des mini-tubes… qui sont plutôt d’humeur extatique : c’est un démarrage très rock, presque post-punk par instants. American Dream ouvre sur la joie de voyager, de vivre ses rêves (« Oh, you’re in New, New York, everybody is cool / I took a long, long flight from Liverpool / To a place that never, ever sleeps / So I’m an English boy with an American dream » – Oh, tu es à New York, tout le monde est cool / J’ai fait un très long vol depuis Liverpool / Vers un endroit qui ne dort jamais / Alors je suis un jeune anglais avec un rêve américain). Rien de très philosophique pour le coup, juste deux minutes trente de bonheur. On continue avec un très réussi Like You Did Before, condensé de mélancolie joyeuse et dansante (puisque ça existe visiblement) : un titre qui aurait pu sans peine figurer sur le premier album de Two Door Cinema Club. Les rythmiques de We Made It et Hold It Steady ne sont pas si loin de celles des Vaccines, avec une guitare qui sonne comme celle des premières années d’Editors. Mais c’est Le Bateau qui est peut-être le titre le plus emballant de cette première partie, parce que le moins immédiatement référencé. Et parce que c’est la reconnaissance, un peu lâche mais honnête, que pour vivre, il vaut mieux quelque fois fermer les yeux sur les conséquences de ses actes : « So for just one night, we’ll pretend we’re alright / Well tomorrow can wait, wait, wait for the sunrise » (Alors, juste pour une nuit, faisons semblant que tout va bien / Demain peut attendre, attendre, attendre le lever du soleil.) Let’s Leave Together est un summum de gaîté insouciante (?) avec un refrain de totale évidence, alors que Blue Damselfly ralentit partiellement le tempo et préfère une rêverie souriante. La tendresse – non dénuée de lyrisme alors que les guitares reviennent – d’Everything Changed, et la reconnaissance douce-amère des erreurs commises, sur un Bad Guys Always Win joliment martelé, permettent de boucler ce premier volet dans un équilibre difficile entre naïveté et lucidité. Finalement, s’il y a un reproche à adresser à ces neuf chansons, c’est probablement que tout cela reste très « sucré », pas suffisamment teinté d’inquiétude pour ne pas risquer l’overdose de joliesse.
Avec la seconde moitié (la nouvelle, donc), on s’attend à ce que le groupe plonge dans des tons plus sombres, mais, musicalement, ce n’est pas aussi simple que ça : nos « young men » de Circa Waves ne perdent jamais leur sens du refrain catchy, et continuent à récolter les fruits d’une production claire et ultra efficace. Lost In The Fire constitue une entrée en matière puissante, prolongée dans le même registre par un Stick Around légèrement plus dense et introspectif : « Oh, and, darling, would you save me from myself? / I got the part, but never played it well » (Oh, et, chérie, pourrais-tu me sauver de moi-même ? / J’ai obtenu le rôle, mais je ne l’ai jamais bien interprété). Le niveau monte encore avec l’addictif Cherry Bomb, hymne à la survie rock’n’roll, sans en ignorer le ridicule induit : « Another show-off, indie rock and roll singer / Leather jacket falling apart at the seams, the seams, the seams » (Encore un frimeur, un chanteur de rock indie / Veste en cuir qui tombe en lambeaux, les coutures qui lâchent de partout). Ten Outta Ten revient sur le territoire de Two Door Cinema Club, mais se sauve grâce à une mélodie douce et efficace, qui se met à groover à mi-parcours. Love Me For The Weekend combine reconnaissance des difficultés de la vie et mélodie solaire, comme si la britpop hédoniste était avant tout un moyen de survivre sous un ciel bien sombre. Dans le même registre, en plus convaincant, le très joli Sunbeams reconnaît plus franchement que la plupart des titres précédents la réalité de la souffrance. Old Balloons est un mini-tube parfait, construit sur la reconnaissance d’un ‘ »escapism » souvent nécessaire : ironiquement, Shudall explique que cette chanson exprime la reconnaissance et la crainte qu’un potentiel plus grand succès (aux USA par exemple) l’éloignerait des choses importantes dans sa vie. Le duo final, très doux amer, Sweet Simple Things / Wave Goodbye referme ce double album dans une sorte d’acceptance que le monde n’est pas tel que nous l’imaginions, le rêvions. La lucidité de l’âge qui vient ?
Les ronchons – et il y en a beaucoup dans le rock, comme ailleurs – continueront a reprocher au groupe de ne rien inventer d’original, tandis que les pragmatiques remarqueront que, réduit a quarante minutes au lieu d une heure, Death & Love aurait été plus impactant (mais, soyons sérieux, hormis des gens comme les Beatles, Dylan, Prince, et quelques rares autres, qui a réellement dans l’histoire du Rock eu assez de matériel pour sortir un double album exceptionnel ?). Nous qui sommes naturellement gentils et bienveillants (si, si !), féliciteront Circa Waves de nous offrir un disque euphorique mais pas superficiel, témoignant d’une nouvelle maturité, bienvenue.
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Eric Debarnot
Circa Waves – Death & Love
Label : Lower Thirs / [PIAS]
Date de sortie de l album complet : 24 octobre 2025
