Un samedi après-midi de novembre, loin des paillettes et du cynisme des grandes productions, Paris Popfest nous a offert deux moments de belle humanité musicale : la finesse indie pop de U.S. Highball et la beauté brutale et désarmée de Brisa Roché.

On passe beaucoup trop de temps à conspuer les monstres du genre Live Nation, leur dynamic pricing et leurs abus de pouvoir bien typiques d’un système capitaliste qui a largement perdu la tête. On n’en passe pas assez à célébrer la multitude de vrais fans de musique qui s’évertue, un peu partout sur la planète, à créer des événements pour mettre en avant des artistes plus « fragiles », et leur faire rencontrer un public qui, souvent, ne peut plus payer les prix exorbitants que demandent les « gros ». A Paris, nous avons par exemple (et parmi d’autres…) les gens de Paris Popfest, qui proposent régulièrement des concerts passionnants dans des salles sympathiques, et à des prix qui le sont encore plus.
Ce samedi pluvieux et gris de novembre, il était possible, grâce à eux, de se rendre à la Médiathèque d’Issy-les-Moulineaux, en plein après-midi, pour voir et écouter Brisa Roché, une belle musicienne américaine qui s’est faite plus discrète ces derniers temps, mais qui nous avait enflammés il y a une bonne dizaine d’années. Avec, en bonus, et en première partie, deux artistes encore confidentiels de la twee pop écossaise, U.S. Highball, dont on commence quand même à parler un peu. Et le tout sans débourser un Euro… sauf évidemment ensuite au stand de merchandising !
C’est à 17h30 que commence le premier set, dans une jolie petite salle de la Médiathèque, qui peut accueillir quatre-vingts personnes environ, et qui sera pleine. L’horaire s’explique par le fait que la Médiathèque n’est – logiquement – pas ouverte en soirée, mais nous ne nous en plaindrons évidemment pas ! U.S. Highball, ce sont deux Glaswégiens, Calvin Halliday (chant et claviers) et James Hindle (chant et guitare), amis depuis vingt ans. Ils composent et chantent de jolies petites miniatures « indie pop », dans un style que l’on m’autorisera de trouver très proche de celui de mes chers Bats de Nouvelle Zélande, en un peu plus calme. Ils racontent dans leurs chansons les petites histoires de la vie ordinaire de gens ordinaires : on sent à la fois une justesse totale dans leurs observations, mais aussi une douce empathie, une chaleur humaine qui fait du bien.
Les mélodies sont simples, lumineuses, faciles à chanter dès la première écoute. Il se dégagera de leur set de quarante minutes un sentiment d’humanité et de bien-être. La setlist est en fait une page de carnet gardée précieusement par Calvin, qui lit à voix haute le prochain titre quand James le lui demande !!! Elle nous offre une visite guidée de leurs différents albums, depuis leur « Great Record » en 2019, jusqu’à leur dernier single, sorti la veille, New Wave Marge!, une chanson en l’honneur d’une chienne. Mais U.S. Highball nous offre aussi pas mal de titres qui semblent nouveaux, et devraient peupler leur prochain album, prévu pour 2026. Ah ! Une particularité de ce duo : leur amour pour le tennis ! Ils nous joueront une chanson intitulée Shapovalov and Tsitsipas (personnellement, je n’avais aucune idée de qui il s’agissait !), et une autre sur le Français (inconnu aussi pour moi) Nicolas Mahut. Il est célèbre, semble-t-il, pour avoir disputé le match le plus long de l’histoire du tennis professionnel, à Wimbledon pendant 3 jours… et l’avoir perdu. James nous explique que c’est une métaphore : oui, mais de quoi ? Un joli set qui donne envie de mieux connaître ce groupe, seulement un peu gâché par une sonorisation mettant trop en avant la guitare et effaçant le clavier.
18h15 : On installe maintenant une table basse et une chaise pour Brisa Roché, qui, on m’avait prévenu, arbore une splendide couronne de fleurs fraîches qu’elle s’est confectionnée juste avant le concert. Brisa semble nerveuse, ce qu’elle nous avouera très vite, parce que cela fait un moment qu’elle n’a pas donné de concert. Elle est arrivée avec toute une pile de papiers, des « cheat sheets » pour s’y retrouver, portant aussi bien les textes que les accords de certaines chansons. Elle a du mal à caler sa jambe, à décider si son pied devrait être sur ou sous la table pour que sa position soit la bonne (quelqu’un se rappelle du gag du Capitaine Haddock et de sa barbe sur ou sous le drap ? C’était un peu la même chose…). Sur quelques titres, il y aura même des petits cafouillages, mais, honnêtement… tout cela est immédiatement dépassé par les qualités exceptionnelles du concert que Brisa va nous offrir pendant une heure.
… Une heure qui s’inscrit pour moi parmi les meilleures vécues en concert de toute cette année 2025 : une setlist ahurissante de richesse, une voix parfaite, et surtout une force émotionnelle – non démonstrative mais néanmoins puissante, effrayante même parfois – que l’on n’attendait pas forcément. La setlist d’abord : quelque chose de surprenant, car hormis quatre titres de l’album Father de 2018 (Cypress en intro, Can’t Control, le redoutable Fuck My Love en conclusion de set, et Before I’m Gone en rappel), je n’ai pas été capable de reconnaître d’autres titres de Brisa Roché… ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas. De la même manière la setlist était remplie de covers, certaines facilement identifiables comme Bird on the Wire de Cohen, le Please, Please, Please Let Me Get What I Want des Smiths (Brisa s’y est reprise à deux fois, mais quelle version sublime ! D’ailleurs, vous connaissez beaucoup de gens qui osent reprendre les Smiths, vous ?) ou encore l’inattendu The Drugs Don’t Work de The Verve, je n’ai pas réussi à toutes les identifier. Et puis, cerise sur le gâteau ou couronnement émotionnel – répété ! – du set, Brisa est descendue une demi-douzaine de fois dans le public pour interpréter a capella des chansons d’une subtilité et d’une force brutale rares. Des chansons qui parlaient pour la plupart de la difficulté d’aimer, de vivre en couple, de vivre tout simplement, des chansons que je ne peux que qualifier que « près de l’os », tant les textes étaient impactants. Et parlaient directement à notre cœur, à notre âme. Une heure suspendue, entre fragilité et grâce brute, qu’on n’oubliera pas de sitôt…
Un formidable exemple de ce que la musique peut offrir humainement à ceux qui l’écoutent, avec attention, toutes défenses baissées. Quelque chose que Live Nation risque bien de ne jamais pouvoir nous offrir, quelles que soit les centaines d’Euros que nous paierons pour acheter une place dans l’un de leurs « grands spectacles ».
Merci, Brisa, merci Paris Popfest.
U.S. Highball : ![]()
Brisa Roché : ![]()
Eric Debarnot
Photos : Eric Debarnot et Stéphane Nitos (photos verticales de Brisa Roché – merci à lui !)
Brisa Roché et U.S. Highball à la Médiathèque d’Issy-les-Moulineaux
Production : Paris Popfest
Date : le samedi 8 novembre 2025
Leurs derniers disques :
U.S. Highball – New Wave Marge! (Single)
Label : Lame-O Records
Date de parution : 7 novembre 2025
R/A/D, Brisa Roché & Don Niño – Outta Sight
Label : Prohibited Records
Date de parution : 26 septembre 2025
