L’Irlandaise Hilary Woods signe un disque entre ambient folk et lo-fi, qui échappe à la frénésie contemporaine. Bien plus qu’une musique d’atmosphère, c’est une danse suspendue où s’entrelacent confluences sacrées et réminiscences intimes. Une ode à l’existence et à ses ramifications.

De JJ72, il ne reste rien. Depuis, Hilary Woods a tracé son chemin. De ce passé encombrant, la mutation musicale s’est opérée par le biais d’une introspection de son autrice. La maturité musicale semble être survenue bien plus tôt qu’il n’y paraît, et ce, bien avant l’âge fatidique censé représenter la raison dans sa grande sagesse. En grattant le vernis, sous la couche d’un maquillage de surface, apparaissent les traits d’une artiste multi-instrumentiste au talent encore trop peu connu. Sa musique s’écarte complètement des tendances actuelles, embrassant toutes les sphères de la musique dite ambient et, pour les profanes, offre une immersion dans laquelle se laisser porter a quelque chose de consolatoire.

L’Irlande se distingue, fort heureusement, de la scène anglaise, par hasard ou par volonté. Ses légendes, sa part de mystère, depuis que le monde est monde, persistent. Et, malgré quelques références pop ou celtiques, trop évidentes et indissociables de son histoire, Dublin est devenu le berceau d’une multitude de musiques. La discographie d’Hilary Woods est comme un coup de feu tiré depuis une autre dimension, qui ricoche avant d’atteindre sa cible : le cœur. Une musique qui ne se justifie pas non pour être un simple remplissage sonore, mais comme l’accomplissement d’un pèlerinage personnel, cérémoniel, un écosystème dont les fragments réunis constituent un abri face à un monde se complaisant dans son propre enfer. Un îlot dont chaque parcelle se reconstitue, comme une offrande : les chœurs séraphiques du titre Offerings s’élèvent vers la voûte céleste avant de replonger dans le sol. Brightly poursuit cette progression au sein des éléments décomposés, reprenant vie et vigueur selon un rythme que Taper vient relayer de manière métronomique.
Comment aborder ce disque ? Il n’y a aucun désir de plaire unanimement, mais celui d’aller à l’essentiel tout en assumant la brièveté de chaque chose. Voce plante le drapeau d’une terra incognita où le temps n’est plus que la réminiscence d’une existence antérieure. Chaque mesure trouve une pulsation qui l’emporte sur la précédente. Si l’ensemble paraît froid, un courant tiède vient réconforter l’âme, au tournant d’un accord, d’une aspérité créant un relief perceptible. Night CRIÚ est parsemé de nefs vocales d’une beauté absolument poignante et de cordes soigneusement disséminées par Hilary en personne. Endgames relève d’une écriture quasi sacrée, renouant avec la musique liturgique tout en s’inscrivant dans un présent affranchi d’un passéisme moribond. Après tout, n’est-ce pas là l’apprentissage de l’éternité, où tout peut se voir en un seul regard ? S’il faut un départ pour tirer une conclusion, demeure toujours l’incomplétude de mille questions.
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Franck Irle
