Pour son deuxième album, Luje mise sur un son plus musclé, dans un style shoegaze qui n’est pas sans rappeler DIIV, tout en gardant un sens de la mélodie indie-pop hyper efficace. Un savant mélange venu confirmer tout le potentiel du groupe lyonnais.
Venu tout droit de Lyon, Luje regroupe cinq musiciens très sérieux, qui à force d’EP et de titres, ont su se tailler une jolie petite réputation, confirmée à la sortie d’un premier album en 2023, Raving Track. Orienté jusqu’ici vers un ton rêveur, porté par des textures électroniques mêlées à un sens mélodique indie-pop, le groupe fait un réel pari à l’heure du second disque et franchit une étape décisive, un virage marqué vers une matière dense, organique, incarné, tout en conservant sa finesse de production. Le tout distribué par Howlin Banana s’il vous plait.
Avec Among the Firs, Luje ne se contente plus seulement de jolies textures synthétiques et atmosphériques, il sculpte désormais un univers plus musclé, plus puissant. Dès l’ouverture Don’t Go et sa mélodie inquiétante, il se joue quelque chose de nerveux, une électricité ambiante très palpable. Une énergie redoublée dès le titre suivant, l’excellent Yeah et ses accointances punk d’une efficacité redoutable. On comprend assez rapidement au fil de l’écoute du disque les intentions et les influences shoegaze, allant de DIIV à Slowdive et tout le fleuron du genre. Le fleuve All the Same d’en être une preuve évidente sur ses sept minutes planantes et vaporeuses et bien sûr Too Cold, très bon premier single qui donnait la tendance à venir, aux inspirations fin 80’s/début 90’s très Sonic Youth.
La force du projet réside néanmoins tout autant dans sa capacité à ne pas seulement réciter et recracher la dite recette du succès. Le quintette a une autre belle corde à son arc, acquise dès l’album précédent, c’est une faculté assez bluffante à sonner pop (sans que le terme ne soit péjoratif), à accrocher l’oreille par le biais de refrains accrocheurs et de petites choses entêtantes dans les compositions. Le meilleur exemple en la matière est l’autre titre sorti en éclaireur, Try Me, que rien ne peut empêcher d’être un petit tube indie si le destin le veut. Le drôlement rythmé Free Spirit a aussi des armes dans le domaine quand les plus calmes balades Nobody Speaks et le final plein de mélancolie Nowhere Days apportent des aérations bienvenues et très joliment réalisées.
Tout est une question d’équilibre sur chaque morceau. Pour une montée saturée répond une accalmie éthérée, pour un refrain incandescent vient une suspension plus fragile. Un esthétisme soigné, couplé à une cohérence et une homogénéité sans failles. Among the Firs est d’une fluidité et d’une régularité très appréciable où chaque track trouve naturellement sa place et ne marque de temps mort.
Derrière tout cet habillage sonore aussi hypnotique qu’immersif, se cachent des thématiques en totale adéquation. Écologie (Nobody Speaks, Too Cold), politique (89, nombre référence en réponse aux résultats des législatives de 2022 dont la mise à jour 2024 n’a hélas pas endigué), introspections personnelles, autant de sujets contemporains primordiaux dont le band se saisit pour s’en faire un écho nécessaire, un exutoire qui trouve son sens dans cet aspect parfois sombre, parfois plus brut de leur musique.
Luje a clairement passé un cap ici. Toutes les belles promesses entrevues jusqu’alors se sont transformées en un album pleinement maitrisé. Qui possède assez de matière qualitative et de relief pour permettre à son groupe de se faire une place encore plus grande sur la scène alternative. Rien n’est interdit pour eux, il n’y a plus qu’à.
Alexandre De Freitas