Selon Jesse Lonergan, au commencement était le vide, puis le démiurge Noir créa une terre et y implanta la vie… et la vie surgit. Sur plus de 300 pages, Lonergan nous plonge, par la seule force de son trait, dans l’extraordinaire genèse d’un monde perdu.

Au commencement était le vide, puis le démiurge Noir créa une terre, morte, et y implanta la vie… et la vie surgit. Le premier homme, appelons-le Le Roux, surgit de la terre et son premier geste fut de tuer son frère jumeau Bleu. Et la violence fut…. Et ce n’était que le début
Jesse Lonergan invoque l’Épopée de Gilgamesh, l’Ancien Testament ou l’Avesta Zoroastrien, avec raison, car son ambition est démesurée. Ne nous propose-t-il pas moins qu’une nouvelle cosmogonie ? Une genèse avec ses mythes et légendes… Il parvient à imposer à notre imaginaire ses dieux, ses demi-dieux et ses héros.
Il n’est pas le premier, jadis Jean Van Hamme et Grzegorz Rosiński s’y sont essayés avec le très beau Grand Pouvoir du Chninkel, J. R. Tolkien avec son Silmarillon, hélas inachevé, ou Richard Wagner avec L’Or du Rhin et la seule force de sa musique… Et, ce fol de Lonergan estima pouvoir faire mieux. Et il fit mieux.
Reprenons, Le Roux tua Le Bleu et la guerre éclata, celle de tous contre tous. Animaux et humains confondus, dans un chaos primordial total. Ébranlé par une telle explosion de violence, le dieu Noir s’interrogea. Sa compagne, la déesse Blanche, lui proposa, afin d’assagir ses créatures, de créer le temps. Et le temps fut. Hélas, la violence perdurait. Alors, le dieu Noir créa la femme Bleue, une demi-déesse guerrière pour les vaincre et leur imposer sa paix. Et la paix fut, mais ne dura guerre. Car, l’homme aimait la guerre.
Si l’histoire parait simple, le travail de l’artiste est prodigieux. Attention, il ne crée par le verbe, mais seulement par l’image. Drome ne se lit pas comme un livre illustré, car les mots y sont fort rares. Lonergan crée des images et ses images prennent sens. Il pose son cadre, un simple gaufrier de 5 sur 7 cases, un trait de plume noire et quelques couleurs aquarellées. Son trait est juste, ses personnages, dieux, héros et animaux, finement travaillés.
L’installation est sobre, mais le résultat sidérant. S’il joue avec les cadres et les formes, les abstractions et les mouvements, ce jeu est toujours signifiant. En une simple page, il crée la vie… et la vie et là. Une autre suffit pour créer le temps, et le temps s’écoule. Ici, il pose une case par un détail, puis multiplie les cases. Là, d’une simple case, il fait naître une explosion, puis la déploie sur une page complète. Au fils des chapitres, il varie ses effets, jouant avec ses cases et parvenant à se renouveler. Il impose son silence, ses ellipses et ses transitions. Son inventivité nous surprend, mais jamais gratuitement.
Tirant son inspiration dans la tauromachie, la séquence du combat à mort entre Le Roux et le demi-dieu Rouge, développée sur 22 pages, est fascinante. Chaque page est unique, les effets visuels diffèrent, tandis que la violence explose. Plus apaisante, la rencontre, amoureuse et charmante, entre le Rouge et la Bleue est d’une beauté renversante.
Comme chez Homère, les champions apostrophent les dieux, les implorant ou les admonestant. Or, souvent, ces derniers satisfont leurs demandes, que ce soit par curiosité ou par malignité, les dieux ne se justifient pas. Celui-ci devient, un temps, immortel, celui-là obtient une nouvelle arme. Dans une autre séquence magnifique, un demi-dieu tue un dieu secondaire, un taureau stellaire, la punition est terrible. La nuit meurt, le jour se fait éternel et la vie s’étiole.
Ainsi, par la seule force de son trait, Drome impose son univers et son souffle, objectivement uniques. Lisez-le et faites-le connaître, il le mérite.

Stéphane de Boysson
Drome
Scénario et dessin : Jesse Lonergan
Éditeur : 404 Éditions
336 pages – 29,90 €
Parution : 18 septembre 2025
Drome — Extrait :

