Michel Cloup – Catharsis en pièces détachées : Avoir à nouveau un peu d’espoir 

Avec Catharsis en pièces détachées, Michel Cloup signe rien de moins qu’un double album, monumental, puissant, urgent, politique comme à son habitude mais aussi parfois intime, et avec humour. Comme quoi, tout n’est pas foutu en 2025.

Michel Cloup 2025
© Julien Vittecoq

D’emblée, Michel Cloup, rencontré par Benzine une semaine avant la sortie de la sortie de son album lors d’une journée de promo parisienne, indique, qu’avec ce nouvel album, il a voulu essayer une nouvelle approche, renouveler sa façon de créer. Déjà, en retrouvant un groupe là où le précédent (Backflip au-dessus du chaos, 2022) avait été composé seul : place donc au fidèle Julien Rufié (batterie surtout, et aussi programmations et claviers) et Manon Labry (à la deuxième guitare et au chant sur deux chansons), qui travaillent avec le Toulousain depuis bientôt une décennie pour le premier, deux ans pour la deuxième. « J’avais fait seul précédent album, Backflip au-dessus du chaos, Julien et Manon m’ont rejoint pour le jouer sur la tournée. On s’est retrouvés pour Catharsis en pièces détachées, et on a dès qu’on a commencé à travailler, on a vraiment composé la musique tous les trois. C’est-à-dire que j’ai, comme d’habitude, un peu d’impulsion sur certaines briques de morceaux qui arrivaient avec des briques de texte. On a fait une espèce de chimie, de tambouille tous les trois. Et en fait, très vite, c’est parti un peu dans tous les sens, aussi bien musicalement que pour les textes.  On s’est dit qu’on serait toujours à temps d’enlever des titres, de faire du nettoyage, de raccourcir. Et en fait, on a tout gardé ! » explique Michel Cloup. Sous l’influence de la réécoute de certains doubles albums des Beastie Boys et Sebadoh, ou, plus récemment, du rappeur JPEGMAFIA, partageant cette folie créative : « Je me suis dit, tiens, ce qui se dégage du début du travail, c’est qu’on va un peu vers ça, l’idée de faire un disque un peu fourre-tout, un peu long. Et donc allons-y gaiement. »

Catharsis en pièces détachéesMais l’ex leader de Diabologum prévient aussi : il a donc voulu essayer des choses nouvelles dans le processus créatif, mais aussi dans les thèmes et les textes : lui à qui colle le mot « colère », entretenu par lui-même depuis son premier effort solo (et la chanson Cette colère sur Notre silence, 2011), a aussi voulu essayer aussi… l’humour.

Un registre dans lequel on ne l’attendait pas vraiment : « On m’a souvent dit qu’en fait, ma musique, mes textes, ne me représentaient pas forcément à 100% ce que j’étais dans la vraie vie. On m’a dit par exemple qu’avec moi,  on rigole beaucoup, que je dis beaucoup de conneries, qui font rire….  Et que ce serait peut-être pas mal qu’on l’entende dans mes chansons. Et du coup, j’ai essayé, je me suis un peu essayé à ça… A l’humour, en fait ! J’ai essayé d’être un peu drôle sur quelques titres ou passages. Après, c‘est pas non plus la grosse poilade, c’est pas Rires et chansons (rire). » Alors va pour des textes politiques, enragés, critiques de la société de consommation, et des dommages à l’environnement qu’elle crée, des nouveaux fascismes, et de la post-réalité devenant post-vérité sous l’effet des média servant un projet politique populiste, ici ou ailleurs, mais avec humour. Acide. Toxique. Comme la seule réponse possible à l’agression.

Chanson emblématique de cette première partie d’album très politique, H&M (Hachoirs et Machettes), troisième single et sans doute pas le dernier, en sixième position sur l’album, est en mode incantation violente en duo avec Nonstop, autre figure toulousaine de la radicalité musicale tendance spoken word, dans un alliage évident. Cloup, qui salue les albums de Nonstop, explique qu’ils se connaissaient depuis longtemps, sans être proches, se sont retrouvés, et que tout c’est fait très naturellement. Plus emblématique et forte encore, si c’est possible, Le poison / L’antidote, cavalcade post punk remarquable en milieu d’album en est l’illustration, de cette guerre qui se joue, en Cloup et la plupart de ses auditeurs, dans nos cerveaux, contre ces forces occultes… Conclusion logique : « La honte, c’est eux ! L’union, c’est la désunion, l’union, c’est la compromission, blablabla… Au boulot les crevards ! Au boulot les crevards ! (…) SouthPark c’est mieux, mais c’est dépassé (…) En route vers le fascisme, les centristes leur ont déroulé le tapis noir (…) T’entends la sirène ???».  Au bout du tunnel, l’alerte, la sirène définitive, le cri dans la nuit d’un homme qui n’est pas ou plus désespéré car il a retrouvé l’énergie de crier. « J’’ai toujours essayé d’être entre le noir et la lumière, entre l’obscurité et le soleil » pose-t-il, à cœur ouvert : « Pour moi, il y a toujours une matière à gueuler, à être pas content, mais il y a aussi toujours des moments où il y a quelque chose qui sauve tout, qui fait relever la tête. Sinon, j’aurais arrêté d’écrire des chansons. Sinon, il y a plein de choses auxquelles j’aurais renoncé, je n’aurais pas de famille ni d’enfants.  Pour moi, il y a toujours quelque chose qui permet d’aller mieux ou d’avoir à nouveau un peu d’espoir. Pour moi, c’est indissociable. »

Mais place aussi, étonnamment, à des lueurs d’espoirs, à un entrain inattendu, celui de l’énergie que l’on retrouve dans ces moments de solidarité (référence aux Gilets jaunes ?…), comme dans le refrain-clé de la chanson quasi titre Catharsis, en deuxième position après un court instru d’ouverture : « J’y croyais pas, j’y croyais plus, je n’imaginais pas revoir un jour cette lueur dans nos yeux (dans nos yeux)… Car, aujourd’hui, en plus de la colère, de la joie, de l’ivresse, de la joie, de l’ivresse, dans ce combat… » y chante-t-il.  Comme un éclaircie dans le paysage, mais en restant fidèle aux bases musicales de la maison Cloup : gros rock rentre-dedans, entre scansions soniques, breaks limite hip-hop, dans une tension permanente entretenue par des programmations audacieuses, et la voix cristalline du chanteur, cri mélodique dans la nuit, son arme fatale, qui clôt en beauté, trente minute plus loin, l’album.

Et puis, quand on croit que c’est fini, il y a un deuxième album, qui débute avec le 3ème instrumental de l’album (Bruit de fond, en onzième position), et qui opère un retour, inattendu, au Cloup intime, que l’on aime aussi. Le Cloup de Notre Colère ou de Minuit dans tes bras, chef d’œuvre méconnu, et auquel on le félicite de ne pas renoncer totalement. D’abord, en douzième position, Place du Ravelin, série beckettienne de portraits de personnages de ce quartier de ce côté de la Garonne, quasi apaisée, si l’on y voyait un défilé de gens invisibles puis cette jeune fille qui « boxe un adversaire invisible, depuis combien de temps ? », puis emballée par les programmations et un riff quasi shoegaze…  Puis Maria, à la faveur de beats soutenus, est un voyage de plus en plus angoissant à la rencontre de sa tante, la mélodie ombrageuse zébrée par les guitares précises. « La maison de ma vieille tante Maria était déserte… J’ai pensé elle n’a jamais habité là / Peu importe, nous avons passé la nuit à regarder l’infini… »  La voix plus blanche que jamais, Cloud revient au spoken word, organique, viscéral, et tout cet autre Cloup est là : intense, poétique, surréaliste et nécessaire. Un sommet, dont on espère qu’il la jouera lors de sa tournée, même si cette veine intime ne devrait pas y être priorisée.

Et le mieux, c’est que le mieux est à venir : Pour qui ? Pourquoi ? qui commence comme jam session évoquant une déambulation hébétée dans Beaubourg rempli de touristes prenant des selfies, débouche très vite, au long de 21 minutes dantesques, sur une réflexion, ô combien personnelle, sur la condition paupérisée des artistes au 21ème siècle, derrière la face cachée de l’iceberg de l’immense minorité de ceux à succès. « Artistes, pour qui ? Pourquoi ? (…)  Tous ceux qui ont quelque chose en dire, une personnalité, un langage, une singularité, une maîtrise de leur pratique, jeunes ou vieux, n’arrivent pas ou plus à vivre correctement (…) Les espaces se réduisent, les espaces se réduisent pour jouer, pour exposer, pour respirer, pour exister (…) Les espaces se réduisent en même temps que les cerveaux…». Pour quel horizon : « sortir un nouvel album sur Bandcamp chaque semaine ?!? » Pendant cette auto-psychanalyse à cœur ouvert, la mélodie s’emballe façon jam à rallonge, alternant passages électroniques et orages électriques, relancée par le fidèle Pascal Bouaziz (Mendelson, Bruit Noir), venu faire un cameo après neuf minutes « – Eh, tu fais quoi dans la vie ? – Artiste, enfin musicien. – Non, je veux dire comme métier… ». « Ça me faisait rire quand même qu’il participe au morceau, d’autant qu’on on est dans une forme de morceau qui n’est pas si loin de Bruit Noir. Je trouvais ça marrant qu’il me pose cette question « Tu fais quoi dans la vie, artiste ? Non, mais comme métier ? ». Au début, je l’avais enregistré avec ma voix, mais je lui ai demandé de le refaire» explique Cloup à propos de ce nouvel épisode d’un long compagnonnage artistique entre les deux… artistes. Ensuite, malgré un sentiment de digression réaffirmé tout au long de la chanson, ce texte reste sur une longue ligne droite, ébrèche la Fondation Vuitton, rend hommage à la « cathédrale » Steve Albini, à Jean-Luc Godard (qui disait qu’il ne fallait pas « restaurer la pellicule… le pognon pour les jeunes ! ») et à Dogbowl (qui lui a appris à écrire une chanson et à envisager de devenir père, dit le texte). Et la mélodie de devenir un long chaos mélodique savamment organisé, y compris avec rires enregistrés au passage, car Cloup est un grand mélodiste noisy ; c’est sa Diamond Sea à lui. Avec une certitude : « Je t’épargnerai ce vieux refrain « c’était mieux avant », ils disent tous ça à mon âge,  « c’était mieux avant ! », et moi je peux te dire, c’était tout aussi merdique, mais différemment… Je m’en souviens parfaitement, j’étais là ! »

Cette fois, tout est dit… Alors place au silence, ou plutôt au vacarme instrumental, quand les voix n’ont plus qu’à se taire, ne peuvent plus rien prononcer d’intelligible : SISRAHTAC, sur quatorze minutes, s’emballe progressivement, jusqu’à un long cri final, guttural, primal, inévitable, repris en boucle, pour conclure 75 minutes de bruit blanc, énervé, irrité, irradié, mais troué de lueurs inespérées et de questionnements plus que de slogans et de verdicts définitifs (même s’il y en a aussi, pour ceux que la politique n’effraie pas trop). De la matière à vif qui parle de soi pour mieux parler de tout le monde et à tout le monde. De l’art. On le dit souvent, on le dit encore, car il n’y a pas de raison de ne pas le faire : du grand Cloup. Indispensable.

Jérôme Barbarossa

Michel Cloup – Catharsis en pièces détachées
Label : Ici d’ailleurs
Date de sortie : 14 novembre 2025

Michel Cloup en concert :
release party à Petit Bain (Paris) le 12 décembre, puis en tournée en 2026.

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