« Ça finit quand, toujours ? » d’Agnès Gruda : une fresque émouvante sur l’exil

Au travers d’une fresque qui couvre plusieurs décennies, Agnès Gruda interroge les destinées contrariées par l’exil. Ancienne grande reporter canadienne, l’autrice est née en Pologne en 1957. Elle a quitté son pays natal à l’âge de douze ans et n’a cessé de se questionner sur les trajectoires de vies.

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Ça finit quand, toujours ? est un premier roman, mais le lecteur sera frappé par la maturité de l’œuvre, sans doute liée à l’expérience d’Agnès Gruda en tant que journaliste. C’est un roman abouti et passionnant qui nous raconte la vie de quatre familles juives polonaises.

Tout commence à la fin des années 50, à Varsovie. Pola Ulman et Nina Gutkowska se rencontrent à la maternité, en mettant au monde Adam pour la première et Ewa pour la seconde. De ce hasard naîtra une amitié qui liera les deux familles pour le reste de leurs vies. Autour de ce noyau dur graviteront aussi la famille Kaminski et la famille Rotfeld.

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Les plaies de la Seconde guerre mondiale sont encore à vif pour ces quatre familles. Plusieurs de leurs membres ne sont pas revenus des camps ou des champs de bataille. Et certains qui sont rentrés ne le sont que physiquement.

Ewa et Maja, Adam et Basia, Maciek et Jacek, Monika sont les enfants de l’après-guerre, ceux qui ont apporté l’espoir d’une vie nouvelle au sein de ces familles. La religion n’est pas la priorité dans cette Pologne des années 50 et 60, sous le joug communiste qui durcit de plus en plus les conditions de vie. Les raisons politiques étant plus fortes que tout dans ce contexte de guerre froide, il a fallu aux dirigeants polonais désigner un bouc émissaire coupable des dysfonctionnements du pays. Il a été tout trouvé par l’URSS : la communauté juive.

Après une première partie qui raconte la vie en Pologne dans l’après-guerre, Agnès Gruda fait basculer son récit en évoquant un épisode méconnu de l’histoire contemporaine. La Pologne a expulsé au printemps 1968 les derniers Juifs polonais survivants de l’Holocauste et leurs familles. Ils étaient environ 13 000. Ils sont devenus apatrides et ont choisi pour la plupart de quitter leur terre natale, craignant la prison ou pire encore. Ils ont émigré en Israël, dans différents pays d’Europe, au Canada ou aux Etats-Unis. Cette migration a été plus ou moins bien vécue par ces familles.

Agnès Gruda a vécu cet exil à l’âge de douze ans, tout d’abord en France, puis au Canada. La famille s’est installée au Québec, à Trois-Rivières. Elle affirme que cette première année d’exil a été pour elle la pire de sa vie, tant la culture polonaise et sa connaissance du français étaient éloignées du mode de vie occidentale et de la langue québécoise. Elle s’est fortement inspirée de sa vie et de celles de proches pour écrire cette fiction, en s’inspirant de souvenirs, de sons, d’odeurs, de couleurs.

Les quatre familles que le lecteur a découvert dans leur vie polonaise vont se déployer dans différents pays. Si quelques-uns parviennent à choisir leur pays d’accueil, d’autres vont se laisser porter par leur destin. C’est ainsi que Pola et sa famille s’installent en Israël, tandis que Nina et les siens passent par Paris avant de partir vivre au Québec.

Les enfants grandissent, deviennent adultes et se questionnent sur leur place dans leur pays d’accueil. Quel sentiment d’appartenance a-t-on quand on a été expulsé du pays qui nous a vu naître et que le pays dans lequel on vit nous considère comme des étrangers ? Cette question a longtemps hanté Agnès Gruda. Elle s’est souvent demandé « et si ? », « et si nous étions restés vivre en Pologne ? », « et si nous étions restés en France ? »…

J’ai eu la chance d’assister à une rencontre avec Agnès Gruda lors du Livre sur la place en septembre, où elle a gagné le prix Stanislas du premier roman. Elle a évoqué ses souvenirs d’enfance, la douleur du déracinement et les forces du destin.

Ça finit quand, toujours ? est une question que la jeune Maja pose à sa mère quand elle apprend qu’ils vont quitter la Pologne « pour toujours ». Je vous laisse découvrir la troisième partie de cette fresque qui apporte peut-être des réponses à certains des protagonistes.

Cette saga familiale est une très belle découverte.

Caroline Martin

Ça finit quand, toujours ?
Roman d’Agnès Gruda
Editeur : éditions des Équateurs
560 pages, 23 euros
Date de parution : 27 août 2025

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