Triple affiche roborative au Zénith, avec en tête d’affiche les Baltimoriens de Turnstile, le groupe qui monte, attendu de pied ferme par une fanbase en nette expansion : il se passe quelque chose avec eux, cette soirée en a été la preuve évidente.

Turnstile a complètement changé de dimension au cours de ces cinq dernières années. Evoluant jusqu’alors dans un Hardcore traditionnel tout sauf commercial, le groupe a publié deux albums, GLOW ON en 2021 et NEVER ENOUGH à la production bien aseptisée, qui l’ont vu incorporer des éléments pop visant clairement à séduire un public élargi. Entre les « TTTT » de Télérama, le passage de l’Elysée Montmartre en 2022 à ce Zénith en novembre 2025 via l’Olympia en 2024, la trajectoire ascendante est évidente. Ayant beaucoup apprécié ces albums, je suis tout à fait dans la cible de cette évolution, et impatient de découvrir le groupe en live pour la première fois.
Direction donc la Porte de Pantin en ce dimanche soir un peu brumeux et froid. Jamais le bon jour pour des concerts qui se finissent tard à l’autre bout de Paris, mais on va faire le job et arriver à temps pour voir LES premières parties, ce qui ne semble à priori pas indispensable.
A 19h30 précise, le Zenith est déjà bien garni pour accueillir High Vis, et il ne va pas falloir beaucoup de temps pour comprendre d’où ils viennent : l’accent du nord de l’Angleterre, le coté bien arrogant, voici un groupe qui allie la fureur du punk anglais traditionnel, son engagement politique, avec des influences hardcore en provenance directe de Washington DC. Et ça dépote sérieux : le chanteur Graham Sayle scande ses textes, les guitares se font méchantes. La fosse déjà bien remplie réagit au quart de tour malgré le son très moyen, et on constate que les morceaux sont excellents, à commencer par Drop Me Out, single extrait de leur album Guided Tour, sorti en 2024. Le groupe va jouer 30 minutes, avec au moins deux tueries : Choose to Lose, un classique de leurs setlists depuis sa sortie en 2019, et l’énorme Trauma Bonds figurant sur l’album Blending qui va clôturer le set, ce titre magnifique étant inspiré par le suicide d’un de leurs amis. Nous sommes nettement moins convaincus par Mind’s a Lie, la seule tentative de dépasser leur hardcore par des éléments house avec voix féminine, mais ce groupe est naturellement à suivre. Cela fait du bien de voir une première partie de ce niveau, nous sommes récompensés de ne pas avoir cédé à la tentation d’arriver uniquement pour Turnstile.
Cette bonne humeur va rapidement s’effondrer avec The Garden, qui déboule à 20h30. C’est un duo américain en provenance de Californie, composé de deux frères, Wyatt et Fletcher Shears, et nous nous situons dans une avant-garde expérimentale totalement hermétique. Du hip hop, de l’electro, du métal, le groupe mixe le tout dans un délire total, sans aucune cohérence, mais en s’amusant bien. Un style musical inventé par eux et répondant à la douce définition de « Vada Vada ». Vous avez compris, ce sont des frappadingues. Nous avions lu avant le concert des critiques élogieuses de leurs shows, ventant leur énergie, le coté libérateur de leur musique, leur présence mystérieuse et la technique de Wyatt à la basse. Je vais donc reconnaitre que je n’ai absolument rien compris à leur set, leurs chansons sans queue ni tête, leur indus hard rock plagiant un Nine Inch Nails sans inspiration, et leur gothisme à deux balles. Leur titre à priori phare, Ballet, moins de deux minutes de délire avec ricanements en arrière-plan, a été introduit avec fierté ! Le groupe a également joué des morceaux de leur jovial Horseshit on Route 66, un disque absolument effarant. C’est dommage, j’aurais bien voulu paraitre cool en disant que j’ai vu des génies, pouvoir convaincre et disserter avec mes voisins qui étaient au choix, passifs, énervés, fatalistes, bourrés ou trop occupés à se raconter leur journée de boulot, mais non, j’avoue que j’ai trouvé cela bien mauvais, tout en reconnaissant que je n’étais vraiment pas le cible. Bref, 40 minutes de pénibilité absolue. Au moins eux, on ne pourra pas leur reprocher d’être tombés dans le mainstream. Définitivement un groupe clivant.

Il est 21h40 quand les héros de la soirée investissent la scène, et ils sont accueillis comme tels par une foule en délire. La salle est archi blindée et la fosse bien compacte. Très rapidement il va m’apparaitre que j’ai bien fait de laisser les plus jeunes s’y défouler et d’observer cela d’un peu plus haut, car ca promet d’être bien sauvage comme prestation. Dès les premières notes atmosphériques de NEVER ENOUGH, tout le Zenith est debout, et même si ce n’est pas le titre le plus propice aux pogos endiablés, il permet de prouver que 80 % de la salle connaît les paroles par cœur. Très impressionnant et ce malgré un son affreux en ce début de concert : La batterie est sourde comme je déteste, et l’attaque de guitare toute riquiqui. Heureusement, cela ne va pas durer, et au bout de vingt minutes, cela sera devenu tout à fait acceptable, le batteur Daniel Fang étant même particulièrement impressionnant. Brendan Yates a commencé son show, ce type sait gérer une foule. Sa voix a ses détracteurs dont je ne fais pas partie, on peut y trouver des ressemblances avec celle de Perry Farrell, et c’est en tout cas un showman incroyable qui va tout donner ce soir, et notamment pendant T.L.C (Turnstile Love Connection) qui va provoquer l’hystérie malgré ses moins de deux minutes. Ce n’est pas fréquent dans cette salle d’avoir un écran géant. Turnstile va jouer devant et, plutôt que des gros plans sur les membres du groupe, la caméra va souvent se concentrer sur le public et sur l’endroit où tout se passe : la fosse (même si les tribunes sont en transe également), offrant par là même des plans saisissants et une preuve – s’il en fallait – d’une incroyable frénésie collective et de visages vraiment heureux. En mettant ainsi en avant ses fans, les Américains leur rendent un sacré hommage. « Nous sommes des stars, mais vous aussi, et c’est grâce à vous » : le message est clair.
I CARE est joué en début de set, et là encore tout le Zénith va reprendre en cœur. J’ai pu constater que certains derrière moi ont noté aussi la similitude de ce titre avec ceux des premiers Police, de la voix à la Sting et bien sur la guitare épileptique d’Andy Summers. Vers la fin du show, SEEIN’ STARS nous fera le même effet, avec dans ce cas un léger pompage moins réussi et sous une boule à facettes de belle facture, de la période Ghost In The Machine.
La setlist est équilibrée, avec à parts égales les extraits de NEVER ENOUGH, ceux de GLOW ON, l’album de la montée en puissance, et les titres plus anciens qui seront loin d’être les moins appréciés. Souvent joués ensemble (Real Thing suivi de Drop et le trio extrait de Step 2 Rhythm, 7, Keep It Moving et Pushing Me Away), ils ne seront pas les moins réussis, témoignages du groupe avant le succès massif et d’un E.P sorti en 2013. Impossible de ne pas headbanger pendant le riff particulièrement violent et totalement métal de 7 et Keep It Moving, avec son évident côté RATM (le chant rap…). Déjà en 2013, le groupe incorporait des passages plus mélodiques dans ses brûlots, et c’est notamment le cas sur ce morceau très inventif. Ses titres plus anciens sont plus directs, mais ils s’insèrent sans choc dans la setlist globale. Finalement l’ensemble du concert est homogène et cohérent, avec un groupe qui a évolué mais qui reste fidèle à ses racines.
Après un SOLE acclamé, le bassiste Franz Lyons va se mettre en valeur sur HOLIDAY et les claviers de fin de LOOK OUT FOR ME renvoyer à l’intro de NEVER ENOUGH, une heure dix plus tôt, dans une ambiance electro. Le rappel est dantesque avec MYSTERY, BLACKOUT, et la folie totale avec envahissement de la scène sur BIRDS pour clôturer une prestation magistrale.
Voila un concert que je ne vais pas oublier de si tôt. Turnstile a prouvé ce soir qu’il pouvait s’adresser à un public élargi tout en conservant l’esprit de ses débuts. A la sortie du Zénith, les fans ravis s’arrachent les posters et certains prévoient déjà l’étape suivante : l’Accor Arena. Pas impossible en effet.
High Vis : ![]()
The Garden : ![]()
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Laurent Fegly
Note : en l’absence de nos photographes, les images sont extraites de vidéos prises par des spectateurs pendant le concert et postées sur Facebook.
Turnstile, The Garden et High Vis au Zenith de Paris
Production : Live Nation
Date : le dimanche 16 novembre 2025
Les derniers albums des groupes :

High Vis – Guided Tour
Label : Dais Records
Date de parution : 18 octobre 2024
The Garden – Six Desperate Ballads
Label : Vada Vada
Date de parution : 30 octobre 2024

Turnstile – NEVER ENOUGH
Label : Roadrunner Records
Date de parution : 6 juin 2025
