L’enquête de Jérémie Koering sur le mystère des « Ménines ».

Au fil d’une enquête érudite et joueuse, Jérémie Koering propose ses hypothèses pour une relecture du célèbre tableau de  Velázquez. Un regard riche de tous ceux qui l’ont précédé, sensible et profondément original.

Koering-2025
© Isolde Pludermacher

Dans sa préface à l’Enquête sur les Ménines de Jérémie Koering, Tanguy Viel souligne « l’inépuisable nouveauté d’un tableau qu’un infernal jeu de ricochets ouvre à la jouissance de tout regard pensant ». Trois siècles après que Velázquez l’a peint, le tableau, conservé depuis 1819 au musée du Prado, n’a rien perdu de sa puissance et de son mystère, mystère qu’après bien d’autres, le livre de Jérémie Koering contribue à « élucider et à réépaissir ». Érudit et sensible, le regard de ce professeur d’histoire de l’art à l’Université de Fribourg est riche de tous ceux qui l’ont précédé. Mais il est aussi profondément original et propre à nous entraîner avec enthousiasme dans une (re)lecture du chef d’oeuvre de celui que Manet surnommait « le peintre des peintres ».

enquete-sur-les-meninesUne « enquête », donc. Depuis Antonio Palomino qui, au début du XVIIIe siècle a identifié les personnages figurant sur le tableau et donné des indications sur son état originel, on s’interroge sur la signification de cette oeuvre monumentale – 3,76m x 2,93m – exécutée en 1656 pour Philippe IV d’Espagne par un artiste qui s’y met lui-même en scène en train de peindre une toile dont on ne voit que le dos. « Mais est-ce qu’une peinture s’élucide ? s’interroge Jérémie Koering, qui ajoute « Il est permis d’en douter ». Que nous dit l’étude des « Ménines » ? Qu’il existe une version antérieure à celle que nous connaissons, révélée par radiographie en 1984. Pourquoi ces modifications ? Pour quelle raison le couple royal, resté hors scène, figure-il à l’arrière-plan, derrière l’infante Marguerite et ses demoiselles d’honneur ? Philippe IV et son épouse Marie-Anne d’Autriche se reflètent en effet dans un miroir, évoquant « Les Époux Arnolfini », ce tableau de Van Eyck qui fascinait Velázquez. Si Philippe IV a voulu avoir la toile constamment sous les yeux, dans son bureau, n’est-ce pas pour y lire cette représentation de son pouvoir que traduit la suspension de toute vie au moment où il pénètre dans ce salon – certains disent l’atelier de Velázquez – du palais de l’Alcazar ? Quels sont les onze tableaux accrochés aux murs ? Quel sens donner à cette mise en abyme qu’introduit, à l’extrême-gauche, la présence du peintre, pinceau et palette à la main devant son chevalet ? Velázquez n’a-t-il pas trouvé ici le meilleur moyen de servir le roi « en lui offrant la possibilité de transformer sa vision en tableau? » ? Et celui aussi de susciter l’intérêt du spectateur en le faisant entrer par tout un jeu de regards dans l’espace de la toile ?

L’enquête dans laquelle nous entraîne Jérémie Koering tout au long de ces quelque cent cinquante pages est à la fois érudite et joueuse, jamais pédante. Conscient de toutes les zones d’ombre que recèle encore le tableau, ce ne sont pas des conclusions qu’il avance mais de simples hypothèses, posant sur lui « un regard parmi d’autres ». La force de son livre est de mettre une abondante documentation (dix-sept pages de bibliographie, de constantes références à tous ceux qui, avant lui, de Michel Foucault à Daniel Arasse, se sont penchés sur le mystère des Ménines) au service d’une démarche personnelle, de considérations sur ce qui le lie intimement à l’oeuvre, entreprenant ainsi avec elle un fructueux dialogue et nous projetant aux côtés de Velázquez à la cour de Philippe IV.

Anne Randon

Enquête sur les Ménines
Roman de Jérémie Koering
Éditions Actes Sud
188 pages – 20€
Date de parution : le 3 septembre 2025

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