« Franz K. » d’Agnieszka Holland : à la recherche du Kafka intime

En multipliant les regards sur Kafka, Agnieszka Holland tente de cerner l’énigme de l’écrivain devenu la figure emblématique de Prague.  Dans une approche dynamique et éclatée qui mêle les temporalités et les modes narratifs,  elle nous invite à reconstituer le puzzle d’une personnalité complexe, en laissant toutefois son œuvre en arrière-plan.

Franz K photo
|Copyright Bac Films

Un an après le très académique Kafka, le dernier été de Georg Maas et Judith Kaufmann qui se concentrait sur l’ultime histoire d’amour de Kafka avec la jeune Dora Diamant, Agnieszka Holland propose, à son tour, un portrait du grand écrivain tchèque auquel elle voue un culte depuis l’adolescence. Bien moins sage que  Le dernier été, Franz K. embrasse la courte vie de Kafka, né en 1883 à Prague – dont il est devenu la figure emblématique – et mort à Vienne à 41 ans. Et, comme le titre l’indique, ce qu’il cherche à mettre en lumière, c’est l’homme intime qui se cache derrière la légende.

franz k afficheL’objectif d’Agnieszka Holland : éviter de faire de ce biopic une œuvre figée, un monument à la gloire de Kafka. Ainsi multiplie-t-elle les entrées pour introduire, à l’intérieur d’une chronologie apparemment linéaire, des éléments de fragmentation, faisant ainsi de l’écrivain une sorte de puzzle à reconstituer. Il s’agit donc, à partir d’épisodes-clés de sa vie, de cerner sa personnalité, d’expliquer comment elle s’est forgée. Rien que de très attendu dans ces scènes qui témoignent d’une reconstitution soignée. Une enfance marquée par l’autorité brutale du père. Sa répugnance à devenir comme lui courtier en assurances. Sa difficulté à imposer dans sa famille son désir de devenir écrivain, alors même que ses amis l’y encouragent. Le lien étroit qui l’unit à sa jeune sœur Elli. L’amitié avec Max Brod. Les amours tourmentées, de Felice à Milena. La progression inexorable de la tuberculose. Voilà qui permet d’approcher un Kafka intime, en même temps que de brosser le tableau de la Prague du début de XXe siècle, avec ses salons, ses cafés, ses bureaux, ses bordels et la campagne alentour. Mais cette approche très classique du biopic, la réalisatrice vient la bousculer par des incursions dans la Prague contemporaine qui met à l’honneur la figure de Kakfa, tant dans les lieux culturels – musées, bibliothèques – que dans l’espace urbain, devenu une sorte de Kafkaland. Elle imagine même que juste derrière la tête géante de l’écrivain créée par David Černý a ouvert un « Kafka Burger ». Viennent aussi interrompre le fil narratif et briser la linéarité du récit de nombreuses incursions dans la psyché de l’écrivain, à travers les cauchemars qui le hantent ou les images particuliérement violentes de La Colonie pénitentiaire. Sans parler de ces moments où les protagonistes, face caméra, viennent nous dire ce qu’ils pensent de Kafka.

Kafka intime mais aussi Kafka écrivain. Que penser de ce parti pris d’expliquer l’oeuvre par la vie de l’homme , que le film illustre, sous forme de clin d’oeil, par ce cancrelat qui finit écrasé sur la table du déjeuner familial ? Il est certes intéressant de voir que Kafka a toujours été un être à part, juif tchèque de langue allemande en butte à l’antisémitisme ambiant ; un écrivain novateur, amoureux intransigeant des mots, qui peinait à s’imposer dans des milieux conservateurs. Que penser de cette approche éclatée, kaléidoscopique, parfois déconcertante ? C’était, nous dit Agnieszka Holland  » la seule façon de réussir à s’approcher de lui » et qui plus est, de rendre compte de son écriture. Il fallait bousculer le spectateur par un montage dérangeant, le surprendre par des choix musicaux jouant sur l’anachronisme : à côté de la partition écrite pour le film par Antoni et Maria Komasa-Łazarkiewicz, on peut en effet entendre Trupa Trupa, un groupe de rock indépendant polonais…dont le leader enseigne Kafka à Princeton. Mais que nous dit Franz K de Kafka écrivain ? Pas grand-chose. On voit surtout l’épistolier, celui qui écrivit près de cent cinquante lettres passionnées à Milena Jesenská,. On entend quelques phrases de ses romans, on assiste à cette scène où Kafka semble devenir un personnage de son œuvre, immergé dans l’horreur de La Colonie pénitentiaire et de sa machine à torturer. On s’attache surtout à l’homme, hanté par l’échec, qui voit la vie comme un mauvais rêve : ce qu’incarne à merveille Idan Weiss, un jeune acteur allemand qui donne à Franz K. sa singularité fiévreuse, ses ambiguïtés, tout ce qui a contribué à en faire de lui un être énigmatique.

En multipliant les regards sur Kafka, en mêlant les temporalités, en éclatant les modes de narration, Franz K. tente de traduire la complexité et la modernité de l’écrivain, à en épuiser le mystère. Loin de certains biopics empesés, le film surprend, déroute, dérange parfois par son dynamisme et sa créativité. Reste que, aussi séduisante soit-elle, cette démarche un peu dispersée l’enferme dans une certaine superficialité, nous frustrant presque totalement de ce qui nous importe le plus chez Kafka : son oeuvre.

Anne Randon

Franz K.
Film franco-germano-tchéco-polonais d’Agnieszka Holland
Avec Idan Weiss, Peter Kurth, Jenovéfa Bokova…
Genre : drame, biographie
Durée : 2h07
Sortie en salle : le 19 novembre 2025

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