Il y a 50 ans, Monty Python – Sacré Graal, réalisé par Terry Gilliam et Terry Jones, débarquait dans les salles de cinéma françaises. En dépit de défauts de jeunesse, les Monty Python y transposaient avec succès leur verve comique sur format long.

Le 3 décembre 1975 fut très probablement l’occasion de fous rires en grand nombre dans les salles de cinéma de l’hexagone. Ce jour-là sortait en France un classique de la comédie anglaise : Monty Python – Sacré Graal.
Une parodie de la légende arthurienne qui fut le premier « vrai » film des Monty Python. Conçu pour un public américain n’ayant pas vu la série, le long métrage La Première Folie des Monty Python était basé sur des sketches de leur géniale série Monty Python’s Flying Circus. La troupe tournera justement Monty Python – Sacré Graal entre les Saisons 3 et 4 de la série. Un premier jet du scénario, comportant des scènes au Moyen-Âge et des scènes au présent, est achevé en janvier 1973. La troupe décide de situer tout le scénario au Moyen-Âge et de se focaliser sur la Quête du Graal. Terry Gilliam et Terry Jones, sans expérience de cinéastes, voient dans le tournage le meilleur moyen d’apprendre le métier.
Le montage financier du film fut « saved by Rock’n’roll ». Aucun studio ne souhaitant financer le projet, la troupe se tourne vers le monde du Rock qui fournira une partie du budget de production. Alors que la dernière tranche fiscale de l’époque se situait à 90%, leur participation est le moyen pour des Rock Stars d’obtenir une déduction fiscale. Parmi les financeurs mentionnés par la troupe, on compte Pink Floyd, Led Zeppelin, Elton John, Ian Anderson de Jethro Tull. Mais aussi les maisons de disques Island Records, Chrysalis Records et Charisma Records.
La troupe devra ensuite faire avec le modeste budget de production d’un film majoritairement tourné dans cette Écosse moquée par le génial sketch Alien turning men into Scotsmen de leur Flying Circus. Le film réussit cependant à créer une ambiance évocatrice du Moyen-Âge par son score, ses costumes et ses décors en dépit de son économie de moyens.
Le coût trop élevé d’un recours à de vrais chevaux va quant à lui se transformer en atout. Il ouvrira la porte à l’idée des chevaliers mimant un déplacement à cheval tandis que leurs serviteurs frappent des morceaux de noix de coco pour mimer le bruit des chevaux. On peut enfin supposer que les caméras à l’épaule en plan rapproché furent un choix dicté par l’envie de masquer un budget faible pour un film historique… se transformant en sensation immersive.
Pourquoi le film réussit-il à dépasser la suite de sketches revisitant tous les clichés sur le Moyen-Âge dans la culture populaire ? On pourrait formuler l’hypothèse d’une œuvre délirante et en même temps cohérente d’un point de vue conceptuel. Monty Python – Sacré Graal est un film qui passe après la Nouvelle Vague et la Comédie italienne des années 1960, deux moments majeurs du 7ème Art qui n’hésitaient pas à rappeler en permanence que « tout ceci n’est que du cinéma ».
Monty Python – Sacré Graal est un peu la même chose sous acides. Le film voit ses personnages citer le numéro d’une scène du scénario. On voit un clap, un documentariste parler face caméra… avant d’être tué par un chevalier. Une action qui aura des conséquences jusque dans une fin de film en forme de pied de nez. Cette scène de meurtre semble annoncer le moment de La Classe Américaine dans lequel Orson Welles vient se plaindre du pompage de Citizen Kane par le film… avant d’être tué pour que ce dernier puisse continuer.
Monty Python – Sacré Graal fait rire en rappelant en ouverture que, derrière les sous-titres, il y a des gens qui ne font pas toujours leur travail dans les règles. Plus loin, un autre gag soulignera que, derrière chacun des passages animés du film, il y a un technicien… dont on taira le devenir. Des personnages brisent le Quatrième Mur pour donner leur opinion sur une scène. Les multiples rôles (y compris féminins) interprétés par les membres de la troupe sont un autre rappel de l’artificialité de ce qui est montré.
Parmi les moments mythiques du film, on compte, entre autres, le dialogue autour des hirondelles et des noix de coco, les Français narguant les Chevaliers de la Table Ronde, le lancer d’animaux vivants pour défendre un bastion, la parodie du Cheval de Troie, le face à face avec le Chevalier Noir… Ainsi qu’une rencontre avec les anarcho-syndicalistes se moquant des collectifs d’extrême-gauche des années 1970, tout en signalant au Roi Arthur (Graham Chapman) que la légitimité du pouvoir vient d’abord du vote.
En revoyant le film, on ressent en partie son statut d‘œuvre de jeunesse. Gilliam et Jones semblent tester en direct des principes de mise en scène : ici du zoom ou du plan subjectif, là placer un personnage dans un premier plan collé à la caméra à la Citizen Kane… Le montage crée parfois des effets comiques, comme lors du montage alterné entre Arthur et son serviteur « à cheval », et le combat grotesque du Chevalier Noir. Le film n’est certes pas très rythmé, mais cela passe parce qu’il est court. Un peu comme le sentiment de voir les cinéastes bricoler leur film devant nous donne un certain charme, parce que c’est une œuvre de début de carrière : la fougue des premières fois et la nouveauté artistique compensent parfois les défauts de jeunesse.
L’influence de la troupe et du film sur Les Nuls et Alain Chabat est connue. Mais l’humour du film n’était pas isolé sur la mappemonde comique des années 1960-1970. En 1963, un an avant que des pas encore Monty Python (John Clesse, Graham Chapman et Eric Idle) ne travaillent pour un programme radio de la BBC, le sketch de Jean Yanne La Circulation à Rome est proche des Anglais dans ses anachronismes assumés représentant la circulation antique comme les embouteillages de la France des années 1960… et dans son mélange de mots latins avec du français dont les mots se voient rajouter un suffixe latin. 19 ans plus tard, le sketch sera l’inspiration d’une de ses réalisations, parodie de péplum sortie en France deux ans après La Vie de Brian : Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ.
Du côté de Hong Kong dans les années 1970, les Frères Hui vont développer le Mo lei tau (en cantonnais : qui n’a pas de sens) : un humour fondé sur la présence d’éléments incongrus, étonnants dans une situation. La fratrie débuta par la télévision, comme les Monty Python, avant de migrer sur grand écran. Avec entre autres Mr Boo Détective Privé, connu pour l’utilisation d’une saucisse comme nunchaku. Un héritage ensuite retravaillé par Stephen Chow.
S’étant construits par le théâtre, les ZAZ, portés eux aussi sur la parodie et l’humour absurde, vont de leur côté se faire un début de notoriété en scénarisant le film à sketches de 1977 Hamburger Film Sandwich avant de connaître en 1980 le grand succès avec Y a-t-il un pilote dans l’avion ?.
Après Monty Python – Sacré Graal, les Monty Python revisiteront, avec plus de métier derrière la caméra, le Péplum dans La Vie de Brian. Natif (comme les Coen) de Minneapolis, Terry Gilliam réalisera un des chefs d’œuvre du cinéma des années 1980 avec Brazil, son 1984 à lui.
Si ses audaces ont été très vite aspirées par le cinéma, les émissions comiques et le publicité, le coup d’éclat initial de la troupe n’a cependant pas perdu sa verve comique avec le temps.
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Ordell Robbie
